Les retraités : tous des demeurés ?

On dit souvent que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Certaines fausses bonnes idées peuvent ainsi, en matière législative, se traduire par une stigmatisation de certaines catégories de personnes sans pour autant assurer une protection accrue au plus grand nombre.
Il en est ainsi de la proposition de loi déposée par François VANNSON sur le bureau de l’Assemblée nationale cette semaine, en vertu de laquelle il faudrait, exclusivement pour les consommateurs âgés de 70 ans et plus, allonger jusqu’à 30 jours le délai de rétractation pour les contrats souscrits à la suite d’un démarchage à domicile.

Publication initiale le 26/01/2013

La proposition de loi rappelle à juste titre que c’est une loi du 22 décembre 1972 (n°72-1137) qui a introduit dans notre droit un délai de rétractation de 7 jours pour les contrats conclus dans le cadre d’un démarchage au domicile ou sur le lieu de travail du consommateur. Ce texte définissait également le délit d’abus de faiblesse dans le cadre exclusif de ce démarchage.

Le démarchage à domicile est aujourd’hui régi par les articles L121-21 à L121-33 du code de la consommation. Ces dispositions prévoient que le consommateur dispose d’un délai de rétractation de 7 jours après la signature du contrat ou bon de commande. Voir ici.
Le code de la consommation sanctionne l’abus de faiblesse commis dans le cadre du démarchage à domicile (voir les articles L122-8 à L122-10 du code de la consommation).

Les articles 223-15-2 à 223-15-4 du code pénal sanctionnent l’abus de faiblesse dans tous les engagements (achat, vente, prêt, libéralité, remise de chèques,…) souscrits par une personne particulièrement vulnérable du fait de son âge, de sa maladie, de sa déficience physique ou psychologique, de son état de grossesse,… Ces dispositions concernent donc tous les contrats (et pas seulement le démarchage à domicile). Il faut que cette vulnérabilité soit apparente ou connue de l’auteur de l’abus de faiblesse. Voir ici.

Le consommateur qui prétend que l’on a abusé de sa faiblesse dispose donc, en fonction de sa situation, du « choix des armes » (dispositions du code de la consommation ou dispositions du code pénal).

Ce n’est pas tant la proposition de loi elle-même qui me fait réagir mais plutôt la vision du monde qu’elle sous-tend.
Il y aurait un âge à partir duquel on deviendrait vulnérable et dans la nécessité d’être protégé plus que les autres ; cet âge serait fixé par le législateur à 70 ans.

Faut-il attendre d’avoir atteint l’âge de 70 ans pour souscrire à des placements financiers ou des emprunts indexés dont on ne comprend pas le fonctionnement ?
Faut-il avoir atteint cet âge pour acquérir des panneaux photovoltaïques qui vont « s’autofinancer de manière transparente » (comme le prétend le commercial qui s’est incrusté chez vous à l’heure de l’apéritif) ?
Faut-il avoir atteint cet âge pour s’imaginer être autonome à Pretoria grâce à la méthode « apprenez le zoulou en 20 minutes par jour » que vous propose cette pseudo-enseignante qui n’a jamais entendu parler de la guerre des Boers ?

Si c’est le cas, pourquoi alors ne pas prendre d’autres mesures à l’égard des septuagénaires et de leurs aînés ?
Pourquoi pas un couvre-feu qui leur interdirait de sortir après minuit, heure à laquelle le prince charmant (ou la princesse charmante) retrouve sa forme originelle de crapaud (ou de grenouille) ?
Pourquoi ne pas leur interdire aussi l’utilisation des moyens de paiement, de l’ordinateur et du stylo à bille (une signature malheureuse est si vite apposée sur un contrat), voire les mettre d’office sous tutelle dès le jour de leur soixante-dixième anniversaire ? Quand un tiers de la population résidant en France aura atteint cet âge (et c’est pour bientôt), il sera toujours temps de déplacer le curseur d’une dizaine d’années, histoire de disposer de suffisamment de tuteurs.

Nous savons tous que l’incapacité à gérer le quotidien est sans corrélation avec l’âge puisque les deux tiers des majeurs protégés (sous tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice) ont moins de 70 ans (voir ici).

Il est probable que notre jeune député (aujourd’hui quinquagénaire) n’imagine pas quels seront ses projets, ses ambitions et ses activités dans 20 ans, trop occupé qu’il est à penser sa retraite à l’aune de celle de ses propres grands-parents qui avaient atteint cet âge… il y a plus de 40 ans.

Nous connaissons tous des septuagénaires qui dirigent des entreprises ou des associations, qui animent des ateliers ou des sessions de formation, qui partagent leur expertise et leur expérience avec ceux qui en ont tant besoin. Des gens qui créent, qui se mobilisent, qui se battent, qui fournissent aide et assistance…
Et je ne parle même pas de ces octogénaires qui apprennent avec détermination des rôles parfois complexes afin de monter chaque soir sur les planches pour partager avec nous un moment unique.

Proposer une extension de la protection des consommateurs, des contrats plus lisibles, des délais de rétractation plus longs,… va toujours dans le bon sens.
Il serait possible aussi de s’intéresser aux pratiques (parfois plus que douteuses) de certaines des sociétés qui font du démarchage à domicile. Quand un commercial ne laisse pas au consommateur un exemplaire du contrat, comment pourra s’exercer le droit de rétractation (que le délai de rétractation soit de 7 jours ou de 30 et que le consommateur ait 70 ans ou moins) ? Ce sont ces pratiques qui sont à surveiller et à sanctionner.

Dans notre pays on distingue les personnes juridiquement capables des personnes juridiquement incapables (les mineurs non émancipés et les majeurs protégés) ; n’est-ce pas suffisant ?
La création de dispositions spécifiques aux plus de 70 ans (et pourquoi pas aux plus de 80 ans, 90 ans, 100 ans,…) complexifierait notre droit de la consommation (déjà parfois obscur) sans pour autant renforcer la protection des plus fragiles d’entre nous qui ne sont pas toujours ceux que l’on imagine.

Et puis, ça ne vous agace pas, vous, toutes ces dispositions qui prétendent lutter contre les effets des pratiques à la limite de la légalité (voire interdites) alors qu’il serait plus radical de s’attaquer aux causes de celles-ci ?
Vous trouvez normal que notre législation soit un gigantesque millefeuille ; chacune des feuilles répondant à l’exigence « un fait divers : une loi » ?

2 réflexions sur « Les retraités : tous des demeurés ? »

  1. Je suis tout à fait d’accord avec vous :
    – ça m’agace, ces dispositions qui prétendent lutter contre les effets des pratiques à la limite de la légalité (voire interdites) alors qu’il serait plus radical de s’attaquer aux causes. Il vaudrait aussi mieux simplifier les modalités pour que le consommateur puisse facilement se défendre (l’action de groupe), et être sévère en cas de récidive de la part de professionnels (dans le cas cité, pour le démarcheur comme son employeur ou donneur d’ordre).
    – il me parait STUPIDE que des lois soient improvisées (par démagogie) en réaction à des faits divers (d’autant plus qu’il y a pas mal de lois votées et non appliquées). Sauf péril important et urgent (et dans ce cas on en est très loin !), les (bonnes) lois devraient toujours être préparées à froid.

    Ceci dit, une proposition de loi (comme celle que vous discutez) ne signifie pas une loi votée. Quand on regarde le bord de celui qui propose, on comprend qu’il y a des chances limitées pour qu’une telle proposition soit acceptée prochainement…

    En corollaire, on pourrait se demander si un (trop ?) grand nombre de députés à l’Assemblée ne participe pas à la générations de tels projets de lois, et à l’épaississement du millefeuille législatif ?

    1. « Quand on regarde le bord de celui qui propose, on comprend qu’il y a des chances limitées pour qu’une telle proposition soit acceptée prochainement… »
      Pas si sûr… dès lors qu’il s’agit de soutenir une proposition démagogique qui ne résous aucun problème (et qui ne coûte rien), le clivage gauche/droite ne joue plus.

      « On pourrait se demander si un (trop ?) grand nombre de députés à l’Assemblée ne participe pas à la génération de tels projets de lois, et à l’épaississement du millefeuille législatif ? »
      Pas sûr non plus car ce sont presque toujours les mêmes qui déposent des propositions de loi. Rien ne prouve qu’en réduisant le nombre des parlementaires, on éliminera les plus « actifs ».

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