Toutes nos envies… et surtout celle de fuir

Un film sur le surendettement et sur les établissements de crédit qui ne respectent pas la loi… ce n’est pas tous les jours !

À force d’entendre et de lire Vincent Lindon s’exprimer sur son combat, je me suis décidée à aller voir le film de Philippe Lioret Toutes nos envies sorti sur les écrans le 9 novembre dernier.

Nous sommes au Tribunal d’instance de Lyon où deux magistrats, Claire (Marie Gillain), récemment nommée, et Stéphane (Vincent Lindon) font une appréciation pour le moins critique des contrats de crédit à la consommation sur la base desquels les créanciers demandent condamnation des emprunteurs défaillants.

Parmi les affaires sur lesquelles le tribunal doit se prononcer, il y a le dossier d’une femme avec enfants, Céline (Amandine Dewasmes).

Si cette justiciable n’avait pas l’air aussi demeuré, on pourrait dire qu’elle a plus ou moins le profil des surendettés étudiés par la Banque de France. Femme seule, sans nouvelles du père de ses enfants (donc privée de pension alimentaire), peu qualifiée professionnellement, criblée de dettes (loyer, énergie,…) qui utilise ses comptes renouvelables pour boucher les trous.

Jusque là, on y croit (un peu).

On assiste à une audience au cours de laquelle l’un des magistrats liste les anomalies qu’il constate sur un contrat de crédit : caractères en police de 5 (au lieu de 8 comme prévu par la législation), crédit gratuit mentionné sur le recto du contrat et taux effectif global indiqué en petits caractères au verso, mélange de clauses contractuelles et de slogans publicitaires,…

Nos deux magistrats vont ensuite déposer une question préjudicielle devant la Cour de justice des communautés européennes (pour les spécialistes, il s’agit de la question qui a donné lieu à cette décision). Cet épisode tente de relater le combat qui a été celui des juges Etienne Rigal et Philippe Florès pour permettre aux magistrats de relever d’office le non-respect d’une exigence législative dans l’offre de crédit alors même que le débiteur ne comparaît pas à l’audience.

Depuis la loi du 3 janvier 2008, l’article L141-4 du code de la consommation prévoit que « le juge peut relever d’office toutes les dispositions du présent code dans les litiges nés de son application ».

Antérieurement à cette réforme, la Cour de cassation considérait que seul le consommateur pouvait se prévaloir d’un texte protégeant ses intérêts.

Cette démarche, qui laisse perplexes les spécialistes du droit du crédit (car initiée il y a plusieurs années mais présentée dans un film censé se dérouler aujourd’hui), reste parfaitement obscure pour le commun des spectateurs. Faites un sondage à la sortie de la salle de cinéma, vous en serez convaincus.

Les personnages sont caricaturaux à souhait. Les magistrats prennent fait et cause pour l’emprunteur surendetté, l’avocat de la société de crédit à l’apparence d’un oiseau de proie et la débitrice ne semble pas comprendre ce qui lui arrive.

Là où l’histoire se complique c’est quand Claire, notre jeune magistrate, décide d’héberger à son domicile (où résident son époux et ses enfants) la jeune femme surendettée et les deux enfants de celle-ci qui viennent d’être expulsés la veille du début de la trêve hivernale (c’est pas de chance !).

Ajoutons à cela que Claire apprend dans le même temps qu’elle est atteinte d’une tumeur cancéreuse qui ne lui laissera que quelques mois à vivre.

À partir de là, oubliez le surendettement (qui n’a d’ailleurs jamais été l’ennemi public numéro un dans cette histoire) car vous entrez dans la bataille d’une condamnée à mort par la maladie qui veut coûte que coûte planifier ce que le monde sera… quand elle ne sera plus.

Cette ténacité à mener à terme ses projets (professionnels et personnels) conduit ainsi Claire à organiser une passation de ses pouvoirs maternels et conjugaux au profit de Céline qu’elle a accueillie sous son toit. Je ne suis pas la seule à avoir remarqué que Claire est une sainte du XXIème siècle.

À partir de là, plus rien n’est crédible, ni cette terrible maladie qui laisse à notre héroïne une redoutable lucidité ainsi qu’une fraîcheur de rose, ni ces procédures judiciaires qui se déroulent à un rythme accéléré qui émerveillerait certainement Michel Mercier, notre Garde des Sceaux ; l’objectif (rarement atteint dans la vraie vie) étant que la procédure atteigne son terme avant que l’héroïne ait rendu son dernier souffle.

Soyons indulgents et faisons l’impasse sur les invraisemblances judiciaires de cette histoire et demandons-nous s’il est possible de rencontrer dans la réalité des personnages comme ceux qui interviennent dans ce film.

Est-il réaliste de présenter une personne, terrassée par la maladie et dont les jours sont comptés, continuant à organiser la vie présente et future de sa tribu… allant même jusqu’à rappeler à son époux qu’il ne doit pas oublier d’aller chercher le colis de La Redoute au point-relais ?

Peut-on imaginer avoir un conjoint (Yannick Renier), comme celui de Claire, qui découvre la grave maladie de son épouse seulement quelques jours avant quelle décède ? Il est vrai que la culture du basilic et l’installation de la balançoire extérieure semblent occuper tout le quotidien de cet homme.

Est-il pensable de rencontrer une personne en difficulté (surendettée et sans logis) qui s’incruste de cette manière, et sans gêne aucune, dans la vie d’une famille qui semble pourtant vivre bien modestement ?

Le seul personnage crédible de cette histoire est Stéphane, l’ami/confident, qui est probablement le seul dont la maturité supposée lui permet de comprendre très vite quelle sera l’issue de ce combat contre la maladie.

Un film sur le surendettement et les sociétés de crédit qui contournent les textes de loi ? Pas exactement…

Un film qui propose des solutions ? Ben non… Pourquoi ?

La presse a relayé un commentaire du réalisateur qui prétend qu’il faut regarder ce film avec le cœur et non avec le cerveau. Autant dire qu’avec ma petite cervelle et mon cœur de pierre, il m’a été très difficile de mettre en œuvre cette recommandation.

Désolée, je n’y ai pas cru et, si je n’ai pas quitté la salle avant la fin du film, c’est par égard pour les deux Mamies armées de béquilles qui s’étaient installées à mes côtés.