Agrégateurs de comptes – Sommes-nous tous les demeurés qu’ils imaginent ?

Il y a des sujets à la mode dont tout le monde parle. Et puis il y a ceux sur lesquels ne s’expriment que les personnes qui ont conçu et/ou commercialisé le produit ou le service ; les utilisateurs / clients / usagers restant les grands absents du débat.
Les agrégateurs de comptes bancaires appartiennent à cette catégorie ; et pourtant, il y aurait beaucoup à dire…
Publication initiale le 18/03/2016

On peut considérer l’agrégation des comptes comme une fusée à deux étages.
– Au premier, la banque classe chaque opération enregistrée par le compte bancaire dans une catégorie élaborée par elle et sur la base de critères définis par elle.
– Au deuxième, le client peut faire rapatrier sur le site de la banque les opérations enregistrées par d’autres établissements dans lesquels il est titulaire de comptes afin que lesdites opérations viennent enrichir les catégories par agrégation.

On ne reviendra pas sur les détails de l’agrégateur de comptes parfaitement expliqués dans cet article et sur la mise en garde formulée par la CNIL à l’égard de ce dispositif.

Il ne nous a pas été possible de rencontrer une personne utilisant l’agrégateur de comptes.
Il est par contre très facile d’entrer en contact avec des titulaires de comptes qui voient chaque mois leurs opérations affectées dans les catégories définies par la banque, même si, bien souvent, il ne s’agit que des transactions effectuées par carte bancaire. Du fait de la gratuité de la carte bancaire, certains titulaires ne confient pas d’autres opérations à la banque qui
propose impose ce dispositif.

Il n’est pas inutile de s’attarder un peu sur quelques règles d’affectation afin de se faire une idée du service rendu.

Comme le conseiller bancaire ne nous accompagne pas à l’hypermarché (dommage ! il pourrait porter les bouteilles d’eau), tous les achats effectués dans un hypermarché sont classés dans la catégorie « Alimentation ».
Peu importe que nous ayons acheté des produits laitiers, des croquettes pour le chat ou une peluche pour le petit dernier. Autant dire, qu’à la fin du mois, le budget « Alimentation » pourrait laisser croire que nous sommes de véritables gloutons.

Les achats de billets de train du réseau de la banlieue parisienne sont systématiquement enregistrés (à partir d’un montant que nous n’avons pas su déterminer) dans la catégorie « Transports longue distance (avions, trains,…) ».

Les petites transactions CB effectuées au bureau de poste (frais d’affranchissement) trouvent leur place dans la catégorie « Vie quotidienne – Autres ».
Comme disait l’un de mes premiers patrons (Directeur de l’Organisation d’une grande banque), tout ce qui est classé dans la rubrique des « divers » doit être irrémédiablement considéré comme perdu impossible à identifier…

L’achat d’une batterie ou d’ampoules dans un magasin d’accessoires pour automobiles tombera dans la mystérieuse catégorie « Entretien – réparation ».

Même ceux qui ne sont pas titulaires d’un prestigieux diplôme en gestion comprendront aisément que cette répartition automatique des dépenses constatées sur le compte bancaire nous rappelle l’histoire du gars plutôt téméraire qui avait décidé de trier des lentilles… après avoir chaussé des gants de boxe.

On peut raisonnablement penser que cette affectation des dépenses existe depuis déjà longtemps dans les systèmes informatiques bancaires mais, depuis peu, elle s’affiche et le client en a connaissance ; certains prétendent même qu’elle va l’aider à gérer son budget.

Quel est donc le profil du client qui pourrait trouver un intérêt à ce service (qui, rappelons-le, pour la catégorisation, n’est pas une option) ?

Par souci de simplification, classons les titulaires de comptes en trois catégories. Je sais, c’est arbitraire, mais il faut bien commencer…

Il y a tout d’abord ceux qui se moquent éperdument de savoir comment ils ont dépensé leurs revenus ; ils connaissent approximativement le montant de leurs charges et ressources mensuelles et ne seront pas réceptifs à cette catégorisation.

Il y a ensuite les titulaires de comptes avertis et exigeants (comme ceux qui s’expriment dans cette discussion, par exemple). Autant dire que ceux-là n’ont pas attendu que la banque classe leurs opérations pour disposer d’une vision fine de leurs dépenses dont eux seuls connaissent parfaitement le détail et l’affectation.

On ne m’enlèvera pas de l’idée que cette catégorie de titulaires de comptes ne se contentera pas d’une rubrique « Trésor public ». Elle aura besoin de distinguer selon le type d’impôt ou de taxe ainsi qu’éventuellement le bien immobilier concerné par la dépense.

Un gestionnaire exigeant souhaitera aussi répartir le montant de la rubrique « Entretien – réparation » sur les différents véhicules utilisés par son foyer.

Je ne parle pas non plus des dépenses que l’on effectue pour compte de tiers et que l’on ne veut évidemment pas imputer sur son propre budget.
Quand je vais faire quelques courses à l’hypermarché pour ma voisine âgée qui n’ose pas sortir du fait du mauvais temps, il est certain que cette dépense doit être affectée à une catégorie spéciale (et non pas à mon budget « alimentation ») puisque qu’elle me sera remboursée.

L’article cité précise que la clientèle cible pour les agrégateurs de comptes est notamment constituée des professions libérales.
Quand on sait que les professionnels libéraux imposés au régime du réel ont un besoin impératif de connaître le détail des dépenses déductibles de leur revenu professionnel (c’est d’ailleurs pour cette raison que beaucoup d’entre eux disposent d’un compte bancaire spécifique pour enregistrer les opérations générées par leur activité), on se demande ce que peut leur apporter ce dispositif puisqu’on n’imagine pas un instant qu’ils souhaitent agréger des comptes de natures différentes (privés et « professionnels »).

Certains prétendent que ce service pourrait être d’une grande utilité à la clientèle « fragile » (celle qui dispose de très peu de ressources) mais c’est bien mal la connaître.
Les personnes dont les faibles revenus permettent difficilement de régler les dépenses indispensables (loyer, énergie, assurances, transports,…) ont surtout besoin d’outils leur permettant d’anticiper leurs dépenses, notamment afin de faire face à certaines régularisations qui peuvent déséquilibrer leur budget (régularisations relatives à l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation, l’énergie,…).
C’est d’ailleurs pour cette raison que les travailleurs sociaux leur recommandent souvent de tenir leur budget sur un tableur afin d’avoir de la visibilité sur les mois qui viennent.

Dans le dispositif de l’agrégation des comptes, l’aspect prévisionnel est évidemment absent ; il est donc tout à fait abusif de prétendre que ces outils présentent une quelconque utilité à la gestion d’un budget… sauf à considérer que la gestion d’un budget se limite à vérifier au quotidien que le solde du compte bancaire n’est pas devenu débiteur. Dans ce cas, à quoi sert la catégorisation des dépenses enregistrées par le compte ?

Ce ne sont certainement pas les avertis exigeants (ceux qui sont intervenus dans la discussion citée plus haut) qui prétendront le contraire. La gestion d’un budget est avant tout prévisionnelle et elle doit permettre d’adapter la présence de ressources à l’imminence des dépenses (que ce soit par le décalage dans le temps de certaines dépenses ou par des mouvements de compte à compte).

Alors, à qui peut profiter ce dispositif ?

Il n’y a véritablement que les banques qui peuvent trouver un intérêt commercial certain dans cette catégorisation des opérations grâce à laquelle elles prétendent « connaître » leurs clients. Elles constituent ainsi de gigantesques bases de données sur nos comportements de consommation qu’elles vendront à des entreprises qui ne manqueront pas de pourrir nos messageries d’offres alléchantes supposées parfaitement adaptées à notre profil.

Ceux qui considèrent qu’il s’agit là d’un « petit plus » offert par les banques à distance à leurs clients me font plutôt sourire.

Rappelons qu’aujourd’hui, les clients d’une banque voient leurs opérations catégorisées sans avoir rien demandé mais que l’agrégation des comptes proprement dite (rapatriement des opérations en provenance d’autres établissements bancaires) nécessite une démarche volontaire de leur part (heureusement !).

Demain, rien n’empêcherait les banques de mettre en place d’office l’agrégation des comptes. En effet,
– elles disposent des outils pour le faire et notamment du fichier FICOBA (qu’elles alimentent) ;
– les procédures de protection des données et de cryptage sont mises à mal dans le monde en entier pour des raisons liées à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ;
– la CNIL, la CEDH et les autres organismes chargés de protéger nos données personnelles et nos libertés ne pèsent pas lourd face aux lobbies tant politiques que financiers ;
– certaines procédures, qui relevaient il y a peu de la politique-fiction, sont aujourd’hui entrées dans notre droit et font partie de notre quotidien. Et d’autres sont à venir…

On dit souvent, qu’il y a (hélas) dans chaque paranoïaque, un visionnaire qui sommeille ; l’histoire prouve (encore hélas) que cette affirmation s’est parfois vérifiée.

Une réflexion sur « Agrégateurs de comptes – Sommes-nous tous les demeurés qu’ils imaginent ? »

  1. Bonjour,

    A la lecture de cet article très intéressant et très documenté (comme d’habitude), on ne peut que regretter que vous n’interveniez plus sur le forum.
    J’espère que la réforme du code de la consommation va nous permettre de bénéficier de votre éclairage par des réponses aux questions qui seront posées et/ou par la rédaction d’un article sur votre blog.
    A mon sens, beaucoup de questions se posent et notamment sur le « passage du TEG au TAEG.
    A très vite donc ????? :))

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