À mon décès, ils n’auront rien !

Il n’est pas une revue ou un site web qui se prive d’une occasion de vous expliquer comment transmettre avantageusement votre patrimoine eu égard aux nouvelles dispositions fiscales qui voient le jour chaque année. Transmettre votre patrimoine à votre progéniture, bien sûr ; il serait tellement inconvenant d’imaginer d’autres bénéficiaires.

Et pourtant, avons-nous tous des enfants ? Avons-nous tous le souhait de les privilégier ? Avons-nous tous la capacité ou le besoin de thésauriser comme des fourmis ? Appartenons-nous tous à une famille du type de celle présentée dans les magazines ? À chacun d’apporter sa réponse, en écartant quelques idées reçues et en donnant comme point de départ à notre réflexion le droit qui s’applique à tous.

Publication initiale le 12/08/2012 

Rappelons pour commencer quelques évidences… qui n’en sont peut-être pas pour tout le monde.

La succession s’ouvre par le décès de la personne (art. 720 du code civil). En conséquence, avant le décès, il n’y a ni succession ni héritiers et il est impossible à une personne qui n’est pas encore héritière d’assigner ses parents en justice en leur reprochant de dilapider une succession qui n’existe pas. Sauf à apporter la preuve médicale (et c’est pour le moins complexe à réaliser) que la fièvre acheteuse et l’extrême prodigalité du futur défunt ont pour origine une altération de ses facultés mentales, il n’y a rien à faire. Il sera toujours temps de renoncer à la succession déficitaire lorsqu’elle s’ouvrira ou de l’accepter à concurrence de l’actif net (c’est ce que l’on appelait autrefois « acceptation sous bénéfice d’inventaire »).

Il est impossible de déshériter ses enfants… sauf indignité (c’est-à-dire, par exemple, sauf si les héritiers ont donné ou tenté de donner la mort au défunt – art. 726 du code civil). La réserve héréditaire (*) et la quotité disponible (**) sont définies par les articles 912, 913 et 914-1 du code civil.

De son vivant, une personne gère son patrimoine comme elle l’entend. Même si, selon certains sondages, près de 80% des ménages souhaitent transmettre tout ou partie de leurs biens à leurs enfants, il n’est pas rare que certains procèdent à des opérations qui réduiront l’actif successoral à presque rien. On peut citer parmi ces opérations la mise en viager d’un bien immobilier parfois unique ou la souscription d’un prêt viager hypothécaire (prêt personnel garanti par un bien immobilier). Ces montages pouvant être dictés par des besoins de liquidités et/ou par la volonté expresse de ne rien laisser aux héritiers.

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On ne peut traiter le sujet des successions à faible actif net (voir déficitaires) sans évoquer les contrats d’assurance-vie souscrits par le défunt.

Toutes les revues traitant de fiscalité des particuliers insistent sur le rôle de l’assurance-vie dans la transmission de patrimoine aux héritiers réservataires (les enfants). On comprend que cet argument soit entendu par les familles « traditionnelles » (selon la terminologie de l’INSEE) composées de papa, maman, les enfants de papa-maman… et personne d’autre. N’oublions pas néanmoins que, selon l’INSEE, près de 30% des enfants vivent dans des familles ne répondant pas à ces critères (mais c’est un autre sujet… enfin presque).

L’assurance-vie constitue en effet un moyen d’éluder le droit des successions (et sa fiscalité) en gratifiant la « famille de cœur » qui n’est pas toujours la « famille de droit ». Elle permet notamment de transmettre des liquidités aux enfants de mon conjoint (qui sont les miens sur le plan affectif mais pas sur le plan juridique), à mes neveux, à la personne qui s’occupe avec tant de patience de mes 4 dalmatiens à chaque fois que je voyage,… et à bien d’autres « tiers » qui seraient « taxés » à 60% si je les couchais sur mon testament.

Il convient de tordre le cou à la légende en vertu de laquelle les capitaux placés en assurance-vie entreraient dans la succession du défunt. Il suffit pour s’en convaincre de se référer aux articles L132-12 et L312-13 du code des assurances qui prévoient exactement le contraire, qu’il s’agisse d’assurance en cas de vie ou d’assurance en cas de décès.

Article L132-12 Le capital ou la rente stipulés payables lors du décès de l’assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l’assuré. Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l’assuré.

Article L132-13 Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Ces règles, issues de la jurisprudence de la Cour de cassation de la fin du XIXème siècle, ont été reprises par le législateur de 1930 (loi du 13 juillet 1930 relative aux contrats d’assurance terrestre). On dit souvent que le droit de l’assurance prime le droit des successions et permet même de le contourner… à condition d’être prudent.

Pourquoi croit-on souvent que l’assurance-vie fait partie de l’actif successoral ?

Parce que la part reçue supérieure à 30 500 € (actuellement) et dans certaines conditions (voir détails ici) est fiscalisée en cas de décès en fonction du lien de famille existant entre le souscripteur et le bénéficiaire  ;

— Parce que si le souscripteur a accepté la clause standard proposée dans le contrat (« mon conjoint, à défaut mes enfants vivants et représentés, à défaut mes héritiers ») ces personnes ont droit au bénéfice de l’assurance en proportion de leurs parts héréditaires.

Ce qui ne veut pas dire que ces sommes entrent dans l’actif successoral. (Voir art. L132-8 du code des assurances). Le seul cas (logiquement d’ailleurs) ou le montant du contrat tombe dans l’actif de la succession est… quand aucun bénéficiaire n’a été désigné (art. L132-11 du code des assurances).

En conséquence, les sommes concernées sont propriété exclusive du bénéficiaire (et non pas du souscripteur) dès le jour de la souscription sans transiter par le patrimoine du souscripteur, et les créanciers du souscripteur ne peuvent pas appréhender ces sommes. Les héritiers du souscripteur (même s’ils sont réservataires) ne peuvent pas demander que ces sommes soient réintégrées totalement ou partiellement dans l’actif successoral. Le souscripteur peut désigner qui il veut en qualité de bénéficiaire sans avoir à respecter la quotité disponible. Même celui qui renonce à la succession peut percevoir le capital assuré dont il est bénéficiaire. Certains juristes en concluent que la réserve héréditaire est ainsi bafouée.

Mais (car il y a un « mais »), l’article L132-13 remet en cause ce que nous venons d’affirmer dans le cas où les primes sont « manifestement exagérées » eu égard aux facultés du souscripteur.

Pour une remise en cause de ce montage, ce sont les primes qui doivent être manifestement exagérées… pas la somme due au jour du décès. Si le contrat est ancien, bien rémunéré et qu’il y a eu peu de rachats, l’écart entre le total des primes et la somme due peut se révéler important.

Dans ce cas, la juridiction saisie peut prononcer une réduction de la prime seulement si le versement de celle-ci a porté atteinte à la réserve héréditaire (Voir Cour de cassation – 2ème Chb civ – 03/11/2011 – N°10-21760).

Comme il n’existe pas de définition législative ou réglementaire de cette notion, il faut se reporter à la jurisprudence pour comprendre dans quels cas des primes sont « manifestement exagérées ».

Cette appréciation s’effectue au moment du versement des primes et non au moment du décès (Voir Cour de cassation – 2ème Chb civ. – 12/03/2009 – N°08-11980)  ; d’où l’intérêt pour le souscripteur d’alimenter le/s contrat/s dès son plus jeune âge.

Pour déterminer si des primes sont manifestement exagérées, la jurisprudence retient 3 critères : l’âge du souscripteur, sa situation patrimoniale et familiale ainsi que l’utilité du contrat pour le souscripteur.

Ainsi, ne sont pas manifestement exagérées des primes qui ne représentent que la moitié des revenus du souscripteur au cours de la période qui s’étend de la souscription au décès, même si les sommes dues aux bénéficiaires en vertu des contrat représentent une grande partie du patrimoine du défunt. Il s’agissait d’un souscripteur qui avait désigné comme bénéficiaires sa sœur et sa nièce et dont l’épouse survivante avait demandé la réintégration des primes dans l’actif communautaire (Cour de cassation – 1ère Chb civ. – 17/06/2009 – N°08-13620). Dans la même décision, on apprend que le souscripteur, âgé de 78 ans en 2004, « dirigeait toujours ses entreprises et que, compte tenu de son espérance de vie, de la nature de ses obligations familiales et de la possibilité de rachat en cas de difficultés de trésorerie […], le contrat souscrit présentait pour le souscripteur une utilité certaine, tout en lui permettant, à raison de sa situation de fortune et de ses revenus, d’assurer ses obligations à l’égard de son épouse ».

L’inutilité du contrat restera toujours difficile à prouver sauf si ledit contrat, souscrit par une personne qui sait qu’elle n’a que quelques jours à vivre, accueille la quasi-totalité de son patrimoine. Plus le montant des primes est élevé, plus le contrat sera « utile » car il constituera une épargne dans laquelle le souscripteur pourra effectuer des prélèvements pour faire face aux besoins de sa vie courante.

Les juridictions réservent également un sort particulier à la prime qui résulte d’un remploi d’un précédent contrat d’assurance-vie dont il sera encore plus difficile de prouver le caractère manifestement exagéré (Cour de cassation – 2ème Chb civ.- 06/10/2011 – N°10-30899).

N’oublions pas non plus, qu’à l’action des héritiers réservataires qui prétendent que les primes sont manifestement exagérées, peut s’ajouter une demande des services fiscaux afin de voir requalifier un contrat d’assurance-vie en donation, comme dans cette affaire (Cour de cassation – Chb mixte – 21/12/2007 – N°06-12769) pour le moins caricaturale. Le souscripteur, « qui se savait, depuis 1993, atteint d’un cancer et avait souscrit en 1994 et 1995 des contrats dont les primes correspondaient à 82 % de son patrimoine, avait désigné, trois jours avant son décès, comme seule bénéficiaire la personne qui était depuis peu sa légataire universelle ». La Cour d’appel « a pu en déduire, en l‘absence d’aléa dans les dispositions prises, le caractère illusoire de la faculté de rachat et l’existence chez l’intéressé d’une volonté actuelle et irrévocable de se dépouiller ; qu’elle a exactement décidé que l’opération était assujettie aux droits de mutation à titre gratuit ».

L’assurance-vie est souvent abordée sous son aspect fiscal mais il ne faut pas perdre de vue son originalité juridique (primauté du droit de l’assurance sur le droit des successions).

Pour reprendre la devise de l’un des piliers du forum réputé pour son bon sens et son rejet du fatalisme, on peut dire que « c’est comme ça… mais ça pourrait être autrement ! » Ainsi, chez nos voisins belges dont nous sommes très proches, pas seulement d’un point de vue linguistique mais aussi juridique, la Cour constitutionnelle, saisie d’une question préjudicielle, a déclaré inconstitutionnel l’article 124 de la loi du 25 juin 1992 (***) qui prive les réservataires du droit d’engager une réduction (décision du 28/06/2008).

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* Réserve héréditaire : part du patrimoine que la loi attribue à certains des héritiers (enfants / conjoint survivant).

** Quotité disponible : part du patrimoine dont le défunt peut disposer sans léser les droits des héritiers réservataires. Elle s’élève à la moitié du patrimoine en présence d’un enfant, un tiers du patrimoine en présence de 2 enfants, un quart du patrimoine en présence de 3 enfants ou plus.

*** Article 124 de la loi du 25 juin 1992 : En cas de décès du preneur d’assurance, sont seules sujettes à rapport ou à réduction les primes payées par lui dans la mesure où les versements effectués sont manifestement exagérés eu égard à sa situation de fortune, sans toutefois que ce rapport ou cette réduction puisse excéder le montant des prestations exigibles.

2 réflexions sur « À mon décès, ils n’auront rien ! »

  1. « à bien d’autres « tiers » qui seraient « taxés » à 60% si je les couchais sur mon testament »
    Ouh, comme l’allusion à des tiers qui part ailleurs auraient « couché » est fine ! Bravo Vanille !
    Lorsque j’étais gestionnaire de patrimoine, il y a 15 ans, j’étais souvent confronté à ce genre de préoccupation de la part de mes clients : soit avantager un héritier au détriment des autres, soit permettre à un « tiers » (souvent de sexe féminin et nettement plus jeune que mon client) d’obtenir en toute discrétion un petit pécule. Il faut croire que ce genre de préoccupation n’est pas rare, et même, assez fréquent.

    Par ailleurs, en matière de succession, le mieux est souvent l’ennemi du bien : il arrive régulièrement que, pensant rétablir l’équilibre entre héritiers, certains donnent une somme d’argent de la main à la main à un héritier « pour équilibrer la somme qu’un autre a reçu par donation quelques années auparavant ». A l’ouverture de la succession, ce sera bien souvent l’effet inverse et d’immanquables récriminations, car la donation sera prise en compte pour sa valeur au jour de la donation, tandis que le don sera pris en compte pour sa valeur au jour du décès. Il existe un cas célèbre de 2 héritiers, l’un ayant reçu une somme d’argent du vivant de son père, et l’autre ayant reçu simultanément des actions de l’entreprise familiale pour une valeur équivalente. Le père pensait qu’ainsi les choses étaient justes, mais ce don n’avait pas été enregistré, et celui qui avait reçu l’entreprise familiale, grâce à son travail, en fit ensuite une compagnie très rentable. Plusieurs années après, au décès du père et à l’ouverture de la succession, celui qui avait développé l’entreprise a du en céder la moitié à son frère : sans enregistrement, c’était la valeur au jour du décès qui était prise en compte pour savoir combien chacun devait obtenir.

    Merci pour le rappel concernant l’assurance-vie. A force de modification au gré des lois de finance, ce résumé fort clair est bienvenue.

    Cordialement

  2. @ LMDP. Je constate que vous avez une grande expérience de la « vraie vie » et des besoins des « vrais gens ». :wink:
    Bien sûr que l’objectif de transmettre à des personnes qui seraient taxées à 60% par la fiscalité des successions n’est pas rare. C’est pour cette raison que je souhaitais évoquer le cadre juridique de l’AV qui donne des opportunités… à conditions de savoir s’organiser.

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