Encore une fausse bonne idée qui relève de l’improvisation

Autrefois, on disait « en France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées »… et c’est toujours vrai !
Je vous propose de prendre connaissance de l’idée de Thierry Braillard (député) et des incidences de la mise en œuvre de celle-ci sur votre trésorerie selon que vous êtes salarié, bailleur ou encore chef d’entreprise (rien ne vous interdisant d’ailleurs de cumuler plusieurs de ces qualités).
Il s’agit d’une excellente idée… vue d’avion (comme on dit) car, dès lors que vont commencer les manœuvres en vue de l’atterrissage, il y a fort à parier que les choses vont se compliquer.

Publication initiale le 21/03/2013 – Dernière modification le 04/04/2013

Dans le cadre d’une proposition de loi déposée en novembre dernier sur le bureau de l’Assemblée nationale, et qui sera débattue en séance publique à compter du 28 mars 2013, Thierry Braillard et certains de ses collègues détaillent une mesure destinée à accroître le pouvoir d’achat des Français « issus de classes populaires ou moyennes ». On en avait bien besoin…

La proposition de loi consiste à modifier les dates auxquelles « le loyer doit être payé par un locataire et le salaire versé par un employeur ».
Le salaire a coutume d’être réglé en fin de mois (après que le travailleur ait réalisé sa prestation) alors que le loyer est habituellement payé d’avance (au début du mois concerné).
Rappelons que ces dates sont actuellement déterminées par l’usage ou le contrat et qu’aucune disposition réglementaire n’impose un quantième particulier.

Le texte propose donc que le versement de la rémunération du salarié ainsi que le paiement du loyer soient effectués le 15 du mois (du mois en cours) afin d’éviter au locataire salarié un décalage de trésorerie.
Il est précisé que « des aménagements pour l’application de cette loi dans le temps pourront être adoptés pour les artisans, commerçants et les TPE ».

Je précise, pour ceux qui ne sont pas certains d’avoir compris : si vous êtes locataire et salarié, votre salaire du mois d’avril vous serait payé le 15 avril et vous ne paieriez votre loyer d’avril que le 15 avril. 
C’est tout simple, il suffisait d’y penser ! Enfin… presque. Arrêtons-nous sur chacun des points évoqués (ou ignorés) par cette proposition de loi.

Afin de savoir combien de salariés seraient potentiellement concernés, commençons par éliminer ceux qui travaillent pour des TPE (entreprises qui pourraient disposer d’un dispositif allégé). Au fait, c’est quoi une TPE ? Si vous ne savez pas donner la définition de la TPE (Très petite entreprise ?), n’ayez aucun complexe… car l’INSEE ne sait pas non plus !

En France, depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008, on distingue sur des critères d’effectifs, de chiffre d’affaires et de total de bilan :
– les micro entreprises (moins de 10 salariés)
– les petites et moyennes entreprises : PME (moins de 250 salariés)
– les entreprises de taille intermédiaire : ETI (de 250 à 4 999 salariés)
– les grandes entreprises (au moins 5 000 salariés)

Si le seuil auquel pensait le rédacteur de cette proposition de loi est celui de la PME, beaucoup d’entreprises vont être concernées par des aménagements puisque près de 98% des entreprises emploient moins de 250 salariés. Il y a 2,5 millions d’entreprises en France dans cette tranche d’effectifs et elles emploient près de 7 millions de personnes.

Il faudrait donc que, sur près de 27 millions de salariés, 20 millions reçoivent leur salaire dès le 15 du mois ; il appartiendra aux entreprises de trouver la trésorerie nécessaire pour effectuer ce règlement.
L’État ne sera pas en reste dans cet effort national car il devra trouver le moyen de régler ses collaborateurs le 15 du mois (collaborateurs qui représentent à peu près 25% de l’effectif salarié en France).

Rien n’est prévu à ce sujet dans la proposition de loi mais je me demande bien pourquoi ce dispositif ne vise que les salariés. Les retraités et les personnes qui perçoivent des allocations (Pôle emploi, RSA,…) peuvent eux aussi être « issus de classes populaires ou moyennes ». 

Quant aux bailleurs qui ne percevraient leur loyer que le 15 du mois, ils ne semblent pas avoir été sollicités sur les incidences d’une telle mesure. Le décalage de trésorerie pourrait se chiffrer en millions d’euros pour les bailleurs sociaux.

Quant aux bailleurs privés, peu d’études définissent avec précision leur profil mais nous savons tous que certains d’entre eux ne pourraient pas régler leur échéance de prêt mensuelle s’ils ne percevaient pas le loyer.

On dit que plus d’un bailleur privé sur six ne possède qu’un logement locatif (voir l’étude du CGEDD que nous citions ici) et que plus de 80% d’entre eux ont eu recours au crédit pour financer leur dernière acquisition.
Pour près de 25% des bailleurs privés, les revenus locatifs représentent moins de 10 % de l’ensemble de leurs revenus. Pour les détails, voir la micro enquête CIF/PAP.

La proposition de loi prévoit de modifier l’article 3 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs afin d’y insérer la phrase « Le paiement mensuel intervient le 15 de chaque mois. »
Mais la loi de 1989 ne concerne que les logements loués nus ; on peut donc supposer que les logements loués meublés échapperaient à cette disposition.

Rappelons que près de 80% des bailleurs privés mettent en location des logements vides.

Décidément, cette proposition de loi semble avoir été rédigée à la hâte sur la base d’une idée qui demande à être approfondie afin d’en vérifier la faisabilité.

Certains diront que je ne cesse de radoter mais on ne m’empêchera pas de faire remarquer qu’un projet de loi (à l’initiative du gouvernement) doit toujours être accompagné d’une étude d’impact… ce qui n’est hélas pas le cas des propositions de loi (à l’initiative des parlementaires).

Je ne prétends pas que l’étude d’impact constitue une garantie de mise en œuvre d’un texte (nous connaissons tous des études qui s’apparentent au tissu d’illusions quelques années après la promulgation de la loi, comme celle sur l’EIRL, par exemple) mais il me semble pour le moins improductif de mettre en débat un document parlementaire qui ne résulte… que d’une idée mal dégrossie dont la mise en application n’a fait l’objet d’aucun chiffrage.

Rendez-vous jeudi prochain pour les premiers débats autour de ce texte.
Le dossier législatif est ici.

°°°°°

Je précise, à l’attention de Mesdames et Messieurs les parlementaires, que je mets gracieusement à leur disposition mes compétences (dans les domaines que je maîtrise) afin de les assister dans la démarche qui consiste à passer de l’idée (qui semble toujours excellente et pleine de bon sens)… à la proposition de loi construite, argumentée et chiffrée.

Il leur suffira seulement, en contrepartie de ma bénévole assistance, de citer mon nom, celui de mon blog et celui du site qui l’héberge dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.
Pour tout contact, merci de laisser un commentaire au bas de ce billet.

 

 

Voir le compte-rendu n°58 de la Commission des affaires économiques.

6 réflexions sur « Encore une fausse bonne idée qui relève de l’improvisation »

  1. Bonjour,

    Une quinzaine de députés s’est réunie pour ce projet !
    Manifestement pas un seul n’a contacté une entreprise pour comprendre ou simplement connaître la gestion de trésorerie. Affligeant!

  2. Titulaire d’une maîtrise de droit privé, de la première année d’un DEA de droit communautaire à l’Université Jean Moulin (Lyon 3), Thierry Braillard est également diplômé de l’Institut d’études politiques de Lyon. Il a enseigné à l’I.A.E.(Institut d’Administration des entreprises)[réf. nécessaire] de Lyon 3 ainsi qu’à l’Institut d’Études Politiques de Lyon le droit du travail.
    Thierry Braillard est Avocat au Barreau de Lyon depuis 1992, spécialisé en droit social.

    Je lis que le député incriminé a enseigné à l’Institut d’Administration des Entreprises. Voudriez-vous dire que dans ce domaine il est incompétent…… :lol:

    1. Libre à vous de considérer que les diplômes sont à l’origine de la compétence.

      Plus sérieusement, ce petit blog n’a comme modeste objectif que de se situer dans le débat d’idées… peu importent les personnes qui les émettent ; toutes les idées sont bonnes à défendre à partir du moment où elles peuvent être discutées.

      Je vous invite également à lire le compte-rendu n°58 de la Commission des affaires économiques qui a débattu de ce texte (lien au bas du billet).

  3. si on y réfléchit comme ceci :
    la paye du mois N sert entre autre à payer le mois N+1, le probleme se limiterai au tout premier loyer.
    lorsqu’on loue on doit fournir un depot garantie corespondant à X mois, dans ce cas on fait X mois de depot garantie + le loyer du premier mois.
    => la boucle est bouclé, NON ?

    1. Vous avez raison. C’est aussi ce qu’a pensé la Commission des affaires économiques (voir lien au bas du billet)… et c’est pourquoi elle a enterré cette proposition de loi. :wink:

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