L’impossible non-rétroactivité des lois fiscales

Les journalistes ont leurs marronniers. À l’approche de l’été, on croule sous les conseils pour commencer un régime alimentaire qui permettra d’exposer moins de rondeurs au soleil.
Les juristes aussi ont les leurs ; la non-rétroactivité des lois fiscales en est un (parmi tant d’autres). Même si le sujet peut sembler technique, il concerne chacun d’entre nous, quel que soit le niveau de nos revenus.
Olivier DASSAULT a déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de loi organique « tendant à encadrer la rétroactivité des lois fiscales » ; ce texte a fait l’objet d’un rapport de la Commission des lois publié le 31 mai 2013.

Publication initiale le 06/06/2013

En cette matière, tout semble pourtant simple. Même ceux qui ont séché les cours de droit savent que la loi ne dispose que pour l’avenir et qu’elle n’a point d’effet rétroactif ; c’est au moins ce que prévoit l’article 2 du code civil… et c’est comme ça depuis 1803.

Le code pénal a adopté le même principe en son article 112-1, réservant la rétroactivité au cas où la loi nouvelle est moins sévère que la loi ancienne.

Il y a près de 70 ans, le Conseil d’État a validé le principe de non-rétroactivité des actes administratifs (règlements et décisions individuelles).

Mais il faudrait déjà se mettre d’accord sur ce que l’on entend par « rétroactivité des lois fiscales ».

Vous savez comme moi que les règles d’imposition relatives à vos revenus, dépenses et investissements de l’année N ne seront connues (au pire) que le 31 décembre de ladite année N… mais il ne s’agit pas là de rétroactivité de la loi fiscale. Il s’agit d’un mécanisme que les fiscalistes appellent « rétrospectivité » de la loi, depuis que le Conseil des impôts l’a ainsi désigné il y a près de 20 ans.

En effet, la date du fait générateur de l’impôt (31 décembre) et la date à laquelle sont déterminées les règles applicables à cet impôt (Journal officiel du 31 décembre)… sont les mêmes ! On comprend bien qu’il n’y a pas de rétroactivité… sauf dans de très nombreux cas particuliers.

L’objectif des pouvoirs publics est parfois d’éviter les effets d’aubaine ou des perturbations sur certains marchés… sans toujours porter préjudice au contribuable (heureusement). Prenons quelques exemples.

La loi de finances pour 1988 a abaissé le taux de TVA sur les véhicules de tourisme (de 33,1/3% à 28%). Cette disposition devait s’appliquer aux acquisitions effectuées à compter du 1er janvier 1988, alors que le conseil des ministres avait acté cette diminution du taux de TVA au cours de l’automne 1987. Afin de ne pas paralyser le marché de l’automobile durant 4 mois, il a été décidé que cette mesure serait applicable aux acquisitions intervenues à compter du 17 septembre 1987.

L’article 16 de la loi de finances pour 1999, qui prévoyait l’assujettissement des contribuables transférant leur domicile hors de France à l’imposition de certaines plus-values, aurait pu s’appliquer le 1er janvier 1999 mais, dans l’objectif d’éviter un exil fiscal massif à la fin de l’année 1998, il a pris effet à compter du 9 septembre 1998.

Pour ceux qui s’imagineraient que l’herbe est plus verte ailleurs, précisons que le rapport parlementaire constate qu’une « rétrospectivité » des lois fiscales est de rigueur dans de nombreux pays (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Italie, Espagne).

Les spécialistes distinguent habituellement la rétroactivité juridique et la rétroactivité économique.

La rétroactivité juridique est assez facile à comprendre : il s’agit d’une loi fiscale qui dispose pour l’avenir mais aussi pour le passé (qui s’applique à des faits déjà intervenus quand elle entre en vigueur).

Il faut dire que de nombreuses lois fiscales sont assez difficiles à mettre en œuvre dans l’état de leur rédaction initiale maladroite et/ou imprécise.

Il est donc parfois nécessaire de les modifier avec rétroactivité notamment du fait qu’une décision de justice a été rendue sur la question ; on parle alors de loi de validation.

L’exemple connu de tous les étudiants en droit est celui relatif aux modalités de calcul de la puissance des moteurs des véhicules automobiles ; modalités privées de base légale à la suite d’une décision de la Cour de cassation (Chambre commerciale – 6 avril 1993 – n° 90-20505). La loi de finance pour 1988 avait fixé le nouveau barème de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur de manière insuffisamment précise. C’est une circulaire ministre de l’Équipement du 12 janvier 1988 qui a déterminé les nouvelles règles de cette taxe.

Un contribuable bien conseillé a demandé remboursement de la taxe qu’il avait payée au motif que « selon l’article 34 de la Constitution, le législateur est seul compétent pour fixer les règles relatives à l’assiette des impôts » (la circulaire du ministre n’ayant évidemment pas valeur législative).

Son argumentation ayant été accueillie par le tribunal de première instance et par la Cour de cassation (et afin d’éviter que tous les contribuables s’étant acquittés de cette taxe n’en demandent remboursement), il a été nécessaire de publier une loi de validation.

Le texte de la loi fiscale apparaît parfois si ambigu que, afin d’éviter toute interprétation qui pourrait être faite de ce texte par les tribunaux, le législateur publie une loi fiscale interprétative (une nouvelle loi pour traduite l’ancienne).

La nécessité d’une nouvelle loi s’impose quand la première loi fiscale comporte des « défauts techniques ». L’article 19-VI de la loi de finances pour 1984 a exonéré les biens professionnels du calcul de l’impôt sur la fortune (ISF), de façon rétroactive car l’imposition de ces biens à l’ISF était un tel « casse-tête » qu’elle aurait pu générer un important contentieux.

Pensons également à des dispositions dont le coût a été mal évalué et qui nécessitent un recadrage, tel le prêt à taux zéro de 2011 (dont pouvait bénéficier tout contribuable, quelles que soient ses ressources, désirant financer sa première résidence principale)… dont les critères d’éligibilité ont été revus pour 2012.

N’oublions pas non plus les dispositions qui n’ont pas été rapprochées du droit supranational avec suffisamment de minutie et qui viennent heurter des principes fondamentaux comme celui de la libre circulation des capitaux dans l’Union Européenne. Un seul exemple récent : la France assignée devant la Cour de justice de l’UE pour fiscalité immobilière discriminatoire. Affaire à suivre…

Toujours dans l’optique de comprendre ce qui se fait « ailleurs », le rapport signale que la rétroactivité juridique des lois fiscales est « toujours encadrée mais rarement prohibée ». Deux États interdisent cependant les dispositions fiscales rétroactives défavorables au contribuable : l’Italie et les Pays-Bas.

Même si certaines lois ne sont pas juridiquement rétroactives, elles peuvent l’être économiquement puisqu’elles remettent en cause la pertinence des choix effectués par les contribuables. Même si elles ne s’appliquent que pour le futur, elles peuvent avoir une incidence certaine sur l’économie globale d’un projet.

Le principe de non-rétroactivité des lois fiscales n’a pas de valeur constitutionnelle dans notre pays ; c’est la jurisprudence (européenne, constitutionnelle, judiciaire ou administrative,) qui tente de donner des limites à cette rétroactivité.

Le Conseil constitutionnel a pourtant rappelé à plusieurs reprises que « sauf en matière pénale, la loi peut comporter des dispositions rétroactives » mais la Constitution reste muette sur cette question.

De nombreuses propositions de loi ont été déposées au cours des 20 dernières années afin de faire inscrire le principe de non-rétroactivité des lois fiscales dans la Constitution, mais aucunes d’elles n’a abouti.

La proposition de loi d’Olivier DASSAULT (déposée le 19 décembre 2012) consiste à modifier l’article 34 de la Constitution afin d’inscrire dans celle-ci le principe de sécurité juridique (en laissant à une loi organique le soin de l’aménager et de prévoir des exceptions) en y ajoutant l’alinéa suivant :
« – l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. En application du principe de sécurité juridique, les règles relatives à l’assiette et au taux ne sont pas rétroactives, sous réserve de la loi organique. »

La loi organique proposée est la suivante :

Article 1erLes lois relatives à l’assiette et aux taux des impositions ne s’appliquent que pour l’avenir.
Les dispositions législatives visant à diminuer l’assiette ou le taux d’impôts indirects peuvent s’appliquer rétroactivement.
À titre exceptionnel, en matière de règles d’assiette, des dispositions législatives peuvent avoir une portée rétroactive lorsque l’intérêt général l’exige.

Article 2La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


On remarquera que l’exception à la rétroactivité est l’intérêt général… dont les contours sont toujours loin de faire l’unanimité.

On déplorera également le manque d’imagination criant des parlementaires dès lors qu’il s’agit de compenser les éventuelles pertes de recettes que pourrait générer une proposition de loi pour l’État.

À chaque fois, c’est la même chose, quand on ne sait pas où trouver des recettes, on fait contribuer les fumeurs puisque chacun sait que les articles 575 et 575 A du code général des impôts sont relatifs aux taxes sur les tabacs.

Serez-vous étonnés si je vous dis que cette proposition de loi a été rejetée par la Commission des lois ?

Bien sûr, l’APF a annoncé cet après-midi dans un communiqué de moins de 300 mots le rejet de cette proposition, mais vous méritez bien quelques explications supplémentaires ; non ?

 

 

Dossier législatif

Une réflexion sur « L’impossible non-rétroactivité des lois fiscales »

  1. Merci pour cet éclairage très clair et très précis sur ce qui est possible, ce qui ne l’est pas, et pourquoi on a toujours l’impression de « se faire avoir » lorsqu’on essaie d’optimiser un minimum ses sources de revenus juste avant le vote de la Loi de Finances !

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