Tout ça pour ça !

Nous savons tous qu’en de nombreux domaines, le résultat obtenu n’est pas toujours à la hauteur du temps dépensé et des efforts déployés ; le travail parlementaire d’élaboration de la législation n’échappe pas à cette règle.
Les modifications de notre droit passent souvent par des voies aussi sinueuses qu’impénétrables à tel point que nous avons parfois l’impression de ne pas tous donner le même sens au mot « simplification ».
Publication initiale le 19/03/2014

Nous avons tout récemment tué le père, au nom de l’égalité entre hommes et femmes. Je parle du « bon père de famille » installé dans le code civil français depuis 1804 et censé représenter la sagesse, la raison et la mesure. Ce survivant de l’époque napoléonienne était considéré par certains comme un affront fait aux femmes.
Nous sommes tous (et toutes, bien sûr) convaincus qu’il s’agit là d’un immense pas vers l’égalité des sexes dans notre société, qui voit ainsi déboulonné le dernier bastion de la discrimination sexiste.

L’article 5 sexies A (nouveau) du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes propose de remplacer, dans plusieurs articles du code civil, l’expression « en bon père de famille » par « raisonnablement ».

Il fallait aussi simplifier la procédure de la saisie immobilière qui est d’une complexité telle que, même les avocats spécialisés y perdent leur latin. C’est pourquoi, il est proposé dans un autre projet de loi en cours de discussion de remplacer l’expression « folle enchère » par le terme de « réitération des enchères ». Oui, ils ont osé !

La réforme de la saisie immobilière de 2006 avait supprimé cette expression dans certains codes mais pas dans tous. Désormais, le ménage est fait partout et notre droit est ainsi modernisé et simplifié. Voilà qui donnera peut-être des idées à nos amis belges et canadiens qui utilisent encore cette expression ainsi qu’aux espagnols très attaché à leur « subasta loca », et à bien d’autres, disposant d’un droit proche du nôtre qui n’ont pas encore senti souffler le vent de la simplification.

Nous citerons également une disposition, inscrite dans la loi relative à la consommation (n°2014-344 du 17 mars 2014), publiée au JO d’hier, et relative aux emprunts souscrits par les personnes mariées ou liées par un pacte civil de solidarité (PACS).

Avant la promulgation de cette loi, lorsqu’une personne souscrivait seule des crédits, elle n’engageait pas son époux ou son partenaire du fait de ces emprunts « à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante » (articles 220 et 515-4 du code civil).

Seul un magistrat pouvait apprécier, au cas par cas et après avoir analysé la situation particulière de la famille, si un prêt présentait ces caractéristiques et s’il était possible de condamner en paiement l’époux ou le partenaire qui n’avait pas signé le contrat de crédit.

Le projet de loi initial relatif à la consommation ne prévoyait aucune modification de la législation en vigueur. C’est un amendement déposé en juin 2013 qui a créé dans le projet un article 19 quinquiès excluant la solidarité entre époux ou partenaires pacsés pour les crédits à la consommation « contractés par l’un d’eux lorsque la somme des crédits ainsi cumulés dépasse un montant fixé par décret ».

Cette disposition a été adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 3 juillet 2013.

Quel montant allait donc être fixé par décret ? On imagine déjà la difficulté de l’exercice…

Le Sénat, saisi à son tour du projet de loi, a purement et simplement supprimé ce nouvel article 19 quinquiès.

Lors de sa deuxième lecture, l’Assemblée nationale a un moment imaginé que la somme des crédits cumulés pourrait, non pas être déterminée par un décret, mais être fixée à 10% des ressources du ménage… mais ce pourcentage n’avait pas plus de sens qu’un montant fixé par voie réglementaire. C’est pourquoi, à l’issue des débats, les députés ont adopté le 16 décembre 2013 un article 19 quinquiès rédigé comme suit :
Le dernier alinéa de l’article 220 et la dernière phrase du second alinéa de l’article 515-4 du code civil sont complétés par les mots : « et que le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, ne soit pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage ».

Ce texte a été conservé par le Sénat lors de sa deuxième lecture le 29/01/2014 et c’est ainsi qu’il figure à l’article 50 de la loi promulguée hier.

Ceux d’entre vous qui ont eu la patience de me suivre jusqu’ici ne vont pas manquer de s’exclamer « tout ça pour ça ! » car on pourrait croire que ces 6 mois de débats parlementaires n’ont pas modifié la législation. Et pourtant…

Avant la loi du 17 mars 2014
Quand un magistrat était saisi d’une demande en paiement à l’encontre d’un époux ou d’un partenaire pacsé n’ayant pas signé le contrat de crédit, il se devait d’apprécier si ce prêt portait « sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante » afin de savoir s’il devait rendre un jugement à l’encontre des deux personnes.

Après la loi du 17 mars 2014
On demande maintenant au juge d’apprécier si « le montant cumulé de ces sommes, en cas de pluralité d’emprunts, [n’est] pas manifestement excessif eu égard au train de vie du ménage ».
Faut-il supposer que, s’il n’y a pas pluralité d’emprunts, le magistrat n’a pas à s’interroger sur la modicité des sommes empruntées et leur lien avec les besoins de la vie courante ?
Faut-il en déduire que, dans le cas où il n’y aurait qu’un seul emprunt l’époux ou le partenaire pacsé non signataire du contrat de crédit serait condamné au paiement des sommes dues sans analyse complémentaire ?
Dans le cas où il y aurait pluralité d’emprunts, comment celle-ci peut-elle être portée à la connaissance de l’époux / partenaire pacsé non signataire ou encore à celle du magistrat ?

Certains prétendaient il y a encore quelques jours qu’un fichier « positif » des crédits aurait pu donner cette information. Mais ce fichier (initialement prévu dans cette la même loi du 17 mars 2014) ne devait être alimenté qu’avec les crédits consentis postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi ; il aurait donc fallu des années avant qu’il recense la totalité des crédits à la consommation souscrits dans notre pays.

Ajoutons également que la consultation de ce fichier était réservée aux établissements de crédits ; il n’a jamais été question que les magistrats puissent l’interroger… ni a fortiori l’époux ou le partenaire pacsé suspicieux.

Oublions donc ce fichier dont le Conseil constitutionnel, comme il était facile de l’anticiper, a rejeté la création.

Ne perdons pas de vue non plus que, lorsque des contentieux de ce type sont portés devant les tribunaux, le ménage a souvent volé en éclats car une procédure de divorce ou de rupture de PACS est en cours.
On voit mal comment celui qui n’a pas signé un contrat de crédit pourrait avoir connaissance de son existence si le créancier ne s’est pas manifesté auprès de lui.
Certains crédits n’ont peut-être pas encore enregistré d’impayés ; tous les contrats ne font pas systématiquement l’objet d’une action judiciaire. Comment savoir si une personne mariée ou pacsée a souscrit seule des crédits ?

Comment le magistrat du tribunal d’instance (seul tribunal compétent en matière de crédits à la consommation) pourrait-il opérer le rapprochement entre plusieurs crédits alors que les requêtes en injonction de payer sur lesquelles il a à se prononcer ne portent que sur un contrat ?

La rédaction pour le moins maladroite de cet alinéa risque de porter préjudice à ceux qu’elle entendait protéger… sauf à ce que, dans leur légendaire sagesse, les magistrats des tribunaux d’instance continuent à juger comme ils le faisaient avant cette modification législative.

Pourtant, si on avait voulu en ce domaine engager un « choc de simplification », il suffisait de supprimer la fin du dernier alinéa de l’article 220 et de l’article 515-4 (voir ci-dessous) afin que chacun soit responsable des seuls crédits qu’il a souscrits personnellement. Mais cela aurait été trop simple…

Elle [la solidarité] n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux époux/partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.

Si nous pouvions disposer de statistiques fiables sur le nombre de personnes mariées ou pacsées ayant été condamnées à payer, en vertu d’une décision judiciaire, le solde d’un contrat de crédit souscrit par leur conjoint / partenaire seul, nous pourrions rapporter cet effectif au nombre d’heures passées en débats parlementaires rien que sur cette disposition.

Une réflexion sur « Tout ça pour ça ! »

  1. Bonjour Vanille,

    Oui, non seulement tu as parfaitement raison sur les quelques exemples cités mais, hélas, c’est en permanence, quels que soient les sujets concernés, que nos « avisés » parlementaires nous votent des textes compliqués, abscons, incompréhensibles…..quand ils ne sont pas contradictoires.

    Ceci conduit à des interrogations et interprétations diverses qui vont le bonheur des avocats et encombrent les tribunaux.

    Cdt

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