Aide-toi… car personne ne t’aidera

L’aide juridictionnelle est un dispositif indispensable mais il peine à remplir sa mission et sa viabilité n’est plus garantie. Ce système, que certains n’hésitent pas à considérer comme en faillite, nécessite une réforme d’ampleur à mettre en œuvre de manière urgente.
Les pouvoirs publics entendront-ils le cri d’alarme poussé par les sénateurs rédacteurs d’un rapport publié il y a quelques semaines ?

Publication initiale 01/08/2014

La sagesse populaire prétend que, si l’on respecte la législation et que l’on paie ses dettes, il est peu probable que l’on ait un jour affaire à la justice… mais les statistiques du ministère de la justice démentent avec vigueur cette affirmation.
En 2012, plus de quatre millions d’affaires ont été traitées et terminées devant les juridictions tant civiles que pénales ; 22% de ces affaires bénéficiaient de l’aide juridictionnelle.

Personne ne peut jurer qu’il ne sera jamais concerné par une procédure relative à un bail d’habitation, un contrat de travail, au bornage d’un terrain, à des sommes indûment perçues par un prestataire de services (opérateur téléphonique, FAI, fournisseur d’énergie, banque,…) ou encore par une procédure devant le Juge aux affaires familiales (JAF) pour organiser les suites d’un divorce ou d’une séparation,…

Pourtant, l’accès au droit, garanti par des textes à valeur constitutionnelle et par le droit international, se révèle un parcours semé d’embûches pour de nombreux citoyens. La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique (dont l’aide juridictionnelle est l’une des composantes essentielles) constituait, il y a près de 25 ans, un véritable progrès mais aujourd’hui, le dispositif présente de nombreux dysfonctionnements.

L’aide juridictionnelle a pour objectif de permettre aux personnes disposant de faibles ressources d’accéder à la justice en assurant la prise en charge de tout ou partie des honoraires d’un avocat ou ceux de tous les officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours.
Dans les faits, plus de 90% des prestations d’aide juridictionnelle sont effectuées par les avocats.

Au fil du temps, le champ couvert par l’aide juridictionnelle n’a cessé de s’étendre, notamment du fait de réformes comme celle relative à la garde à vue, celle relative à la retenue pour vérification du droit au séjour, celle relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques, celle relative au droit au logement opposable (DALO), et bien d’autres.

En 2012, plus de 900 000 admissions à l’aide juridictionnelle ont été dénombrées (51 % pour les procédures civiles, 41 % pour la matière pénale, 8 % pour les affaires administratives et le droit des étrangers).

Un plafond de ressources extrêmement bas

Depuis le 1er janvier 2014, les personnes dont les ressources mensuelles sont inférieures à 937 euros peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle totale. Ce plafond est à rapprocher du niveau de vie médian des personnes vivant dans un ménage en métropole (1 695 euros mensuels pour les hommes et 1 429 euros pour les femmes) et du seuil de pauvreté (60 % du niveau de vie médian de la population), qui s’établit à 977 euros mensuels en 2011.

Lorsque les ressources du demandeur sont comprises entre 937 euros et 1 404 euros par mois, l’aide est partielle.
L’aide juridictionnelle partielle représente seulement 10 % environ du total des admissions. Ce faible taux de recours s’explique notamment par l’absence de visibilité qu’a le demandeur sur les sommes qui resteront à sa charge une fois l’admission du dossier prononcée.

Pourtant, d’après une étude du ministère de la justice menée en 2010, il y aurait 6,9 millions de ménages éligibles à l’aide juridictionnelle partielle et 7,4 millions de ménages éligibles à l’aide juridictionnelle totale.

Les rédacteurs du rapport proposent de retenir un plafond de ressources unique, équivalent au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) net, fixé en 2014, sur la base de 35 heures hebdomadaires de travail, à 1 128,70 net.
Ils préconisent également de supprimer l’aide juridictionnelle partielle ; celle-ci ayant raté son objectif du fait de sa complexité.
La question de l’intégration de certaines prestations sociales (prestations familiales et de logement par exemple) dans l’assiette des ressources à prendre en considération a été évoquée comme le corollaire de ces mesures.

Une instruction des dossiers à parfaire

En 2012, le délai moyen d’instruction d’un dossier de demande d’aide juridictionnelle était de 43 jours.

Au niveau national, plus de la moitié des dossiers sont incomplets ; au bureau d’aide juridictionnelle (BAJ) de Versailles, cette proportion s’élève à 80%.
Ces chiffres s’expliquent par la complexité du dossier à constituer (et dont les magistrats demandent une simplification) et par le fait que, dans les affaires qui donnent lieu à plusieurs procédures, le demandeur doit déposer un dossier complet de demande d’aide juridictionnelle pour chaque procédure.

Ces dossiers incomplets obligent les agents des BAJ à effectuer de nombreuses démarches pour obtenir les pièces manquantes et à adresser des lettres de relance au demandeur ; ces travaux ont un coût.

Il est proposé de mieux faire connaître la liste des pièces à fournir auprès de tous les intervenants concernés (avocats, conseils généraux, mairies, maisons de la justice et du droit,…).

Les modalités d’appréciation des ressources du demandeur sont variables d’un BAJ à l’autre d’autant que cette activité ne relève pas du cœur de métier des personnes qui composent le bureau d’aide juridictionnelle : magistrats, greffiers, auxiliaires de justice… Ajoutons que les BAJ ne disposent pas de moyens de vérifier la teneur des ressources et l’étendue du patrimoine des demandeurs ; les rédacteurs du rapport estiment opportun que les BAJ aient accès aux fichiers sociaux gérés par la CAF et aux fichiers fiscaux.

Depuis un décret de 2008, le justiciable qui a souscrit une assurance de protection juridique, doit, préalablement au dépôt de toute demande d’aide juridictionnelle, effectuer une déclaration de sinistre auprès de son assureur ; à charge pour l’assureur de faire connaître le montant des frais pris en charge par le contrat.
Rappelons que 20 % des foyers français auraient souscrit un contrat de protection juridique.

En pratique, la protection juridique intégrée dans les contrats d’assurance est rarement mise en œuvre et les BAJ ne sont pas en mesure de vérifier si le demandeur a souscrit ce type de garantie.

Rappelons également que le principe du libre choix de son avocat par l’assuré est reconnu par l’article L127-3 du code des assurances mais, dans les faits, il n’est pas rare que la compagnie d’assurance impose son avocat et plafonne le montant  de prise en charge des honoraires de l’avocat librement choisi.

Des avocats rémunérés par la portion congrue

La rétribution des avocats à l’aide juridictionnelle est le résultat de l’unité de valeur (UV) dont le montant est fixé par la loi de finances multipliée par un coefficient fixé par décret, censé représenter la charge de travail correspondant à chaque type de mission.

Selon le syndicat des avocats de France, cette rétribution serait de l’ordre de 45/48 euros de l’heure alors que le seuil de rentabilité est proche de 75 euros.
De plus, les frais de déplacement des avocats qui interviennent à l’aide juridictionnelle ne sont pas pris en charge. De fait, 90% de ces dossiers représenteraient un travail à perte pour les avocats.
Il ne faut donc pas s’étonner si, sur les 45 000 avocats inscrits, seuls 400 assurent la majorité des missions financées par l’aide juridictionnelle.

En conséquence, une réévaluation du barème de rétribution des avocats applicable aux différentes missions d’aide juridictionnelle s’impose de toute urgence.

Rappelons également que la rétribution des actes de la plupart des auxiliaires de justice intervenant au titre de l’aide juridictionnelle est encadrée par la loi du 10 juillet 1991 ; seuls les experts déterminent librement le montant de leurs honoraires. Ne s’agit-il pas là d’une anomalie ?

Un financement qui n’est plus assuré

La France est l’un des pays européens qui consacre le moins de crédits à la justice : 57 euros par habitant dans l’hexagone mais 106 euros en Allemagne, 83 au Royaume-Uni ou encore 72 euros en Italie.
Elle est d’ailleurs classée 28ème sur 40 par le Conseil de l’Europe pour le budget public annuel alloué à l’aide judiciaire avec une participation de 5,6 euros par habitant et par an en 2010 contre 6,8 euros en moyenne dans les pays européens.

Le gouvernement avait mis en place en 2012 une contribution pour l’aide juridique (CPAJ) de 35 euros due par toute personne engageant une action en justice. Celle-ci, qui rapportait environ 60 millions d’euros sur un budget global déjà insuffisant de 370 millions d’euros, a été supprimée à compter du 1er janvier 2014.

Les professionnels sont nombreux à penser qu’un budget satisfaisant serait de l’ordre de 700 millions d’euros et certains proposent d’instaurer une taxe affectée perçue sur les mutations et actes soumis à droits d’enregistrement (cessions d’immeubles, de droits sociaux, de fonds de commerce, successions et donations,…) ainsi que sur les actes juridiques soumis à une formalité de dépôt ou de publicité.
Une augmentation de ces droits de 3,5% (faisant passer, par exemple, le taux applicable sur la cession des fonds de commerce d’une valeur de plus de 200 000 euros de 2,60% à 2,69%) générerait 360 millions de recettes.

Il est également proposé une taxation complémentaire des contrats de protection juridique à condition que cette taxation ne devienne pas dissuasive au moment de la souscription du contrat.

Il existe une procédure de retrait de l’aide juridictionnelle lorsque celle-ci a été obtenue sur la base de déclarations inexactes ou de pièces falsifiées ou lorsque la décision de justice définitive procure au bénéficiaire des ressources qui lui auraient interdit l’accès à l’aide ou encore lorsque la procédure engagée par le demandeur a été jugée dilatoire ou abusive.
Cette procédure est très peu utilisée, probablement faute de moyens et d’informations permettant de la mettre en œuvre ; elle ne concerne que 0,1% des dossiers.

Le recouvrement des sommes indûment perçues au titre de l’aide juridictionnelle est de la compétence du greffier en chef de la juridiction. Six millions d’euros ont ainsi été recouvrés à ce titre en 2013, sur une créance globale de 16 millions d’euros.
Les rédacteurs du rapport préconisent de transférer ces mises en recouvrement au Trésor public.

 

Cette situation dégradée de l’aide juridictionnelle, qui s’ajoute à la suppression de nombreux tribunaux engagée il y a quelques années, fait craindre que l’accès au droit ne soit plus qu’un grand principe fondamental privé de toute réalité pour plus de 14 millions de ménages (ceux qui étaient éligibles à l’aide totale ou partielle en 2010).

 

Rapport de Sophie JOISSAINS et Jacques MÉZARD, sénateurs.
L’aide juridictionnelle sur service-public.fr