On nous dit tous les jours que le « coût du travail » dans notre pays est si élevé qu’il a fait fuir à l’étranger tous nos emplois industriels. On nous répète qu’il faut acheter des produits français pour sauvegarder nos emplois. On nous informait récemment que le premier véhicule grand public à obtenir la certification « origine France garantie » est… un véhicule japonais. On nous dit tant de choses…
Jusqu’à présent, on avait surtout évoqué le cas des produits « made in France ». Une proposition de loi discutée hier après-midi à l’Assemblée nationale s’intéresse au cas des services selon une approche un peu particulière.
Publication initiale le 12/10/2012
Certains services sont difficilement « délocalisables » tels ceux offerts par les personnes qui viennent à domicile pour prendre en charge les tâches ménagères, les devoirs des enfants,… Mais tous les services qui ne nécessitent pas une intervention sur site le sont, à commencer par de nombreux services clients (SRC/SAV).
Une proposition de loi déposée en août dernier par Marc LE FUR s’intéresse au cas des centres d’appels, secteur qui représente aujourd’hui plus de 270 000 emplois et dans lequel 100 000 emplois pourraient être créés dans les 5 années à venir.
60% du chiffre d’affaires des centres d’appels provient du secteur de la téléphonie / Internet (8% du secteur banques et assurances ; 2% des services publics).
Même les services publics sont concernés par les risques de délocalisation des centres d’appels. Le Tribunal administratif de Paris a rappelé dans une ordonnance du 16/08/2012 (affaire STIF – Syndicat des Transports d’Île-de-France) que « les critères de préférence locale ou nationale sont illégaux » et « le fait d’exiger que les téléconseillers justifient d’une proximité géographique et culturelle ne saurait [en conséquence] être interprété comme équivalant à une obligation d’implantation de la plateforme téléphonique en France« .
On peut donc fort bien imaginer que, dans les années à venir, les collaborateurs répondant au 39.39 (service-public.fr) ou au 0810.467.687 (impôts-service) ne soient plus installés exclusivement sur le territoire national.
Les parlementaires à l’initiative de cette proposition de loi ne manquent pas de faire remarquer que ces vagues de délocalisation des centres d’appels ont pour origine… l’exigence des consommateurs (oui, vous avez bien lu). Ils ajoutent que « La recherche de coûts de productions moindres, couplée à l’idée, très ancrée dans la mentalité française, de « service gratuit », aboutit au développement des offres « low cost » au détriment de services davantage haut de gamme. »
Rappelons néanmoins à Monsieur LE FUR et à ses collègues qu’il fut une période pas si lointaine durant laquelle n’importe quel SRC/SAV était joignable au mieux au moyen d’un numéro de téléphone vert (gratuit) au pire au moyen d’un numéro de téléphone non surtaxé. Bien sûr, il s’agit d’une période que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître… mais tous nos parlementaires ont dépassé cet âge.
Si certains estiment qu’il est légitime de payer des communications téléphoniques surtaxées à chaque fois qu’il est nécessaire de signaler au fournisseur qu’il est défaillant dans la fourniture de sa prestation, qu’ils ne viennent pas prétendre que leur objectif premier est la protection du consommateur. Le consommateur doit pouvoir bénéficier sans aucun surcoût du produit ou de la prestation qu’il a acheté ; à défaut, c’est qu’il y a tromperie sur le prix.
Rien qu’en matière de téléphonie, le Médiateur chargé de ces questions a reçu en 2011 plus de 21 000 dossiers (plus de 50% des dossiers recevables concernent la téléphonie mobile et plus de 40% sont relatifs à Internet et aux offres combinées). Ce qui laisse supposer que, dans ce domaine, les relations clients/fournisseurs sont loin d’être toujours sereines.
La proposition de loi consiste à compléter l’article L111-2 du code de la consommation comme suit :
Article 1er – Le II de l’article L. 111-2 du code de la consommation est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Tout centre d’appels d’une entreprise enregistrée au registre du commerce sur le territoire français doit, avant toute mise en relation avec une personne ou un serveur vocal, identifier clairement le pays où il est implanté. »
Article 2 – Le II de l’article L. 111-2 du code de la consommation est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Lorsque la documentation jointe à un produit ou un service fait mention d’un centre d’appels dédié aux clients, sa localisation doit être précisée. »
D’autres idées sont suggérées (dans le rapport fait au nom de la commission des affaires économiques mais sans être reprises dans la proposition de loi) et notamment celle qui consiste à créer des numéros de téléphone « illico » qui garantiraient au consommateur une réponse en moins de 60 secondes (par des téléconseillers installés en France) ; la communication serait facturée au maximum 0,60 € la minute.
Que penser de ces propositions ?
- Identifier clairement le pays où est implanté le centre d’appels avant toute mise en relation
Si mon téléphone ne fonctionne pas ou si mon compte bancaire a été débité deux fois du montant des transactions carte bancaire du mois, peu m’importe que le centre d’appels soit basé à Saint-Bonnet-les-Tours-de-Merle (Corrèze), à Tamanrasset ou à Dublin. La priorité est que mon problème soit résolu… et vite.
On remarquera que la proposition de loi ne mentionne pas la même exigence pour les mails émis par un service client ; peut-être parce que, quelle que soit la localisation de leur rédacteur, les mails sont parfois truffés de fautes d’orthographe et de syntaxe au point qu’ils deviennent difficilement compréhensibles. - Mentionner dans les documents contractuels la localisation du centre d’appels
Je suis toujours favorable à l’ajout de mentions dans les contrats dès lors qu’elles permettent au consommateur de faire un choix éclairé ou d’agir dans les délais (d’exercer son droit de rétractation, par exemple). Je ne suis pas convaincue que cette mention supplémentaire soit de nature à m’aider à choisir, un FAI, une compagnie d’assurance, un opérateur de téléphonie ou une banque à distance. Les critères que je prends habituellement en compte sont d’une autre nature.
En pratique, il sera dans certains cas très difficile pour le fournisseur de préciser dans ses contrats la localisation de son centre d’appels. N’oublions pas que les grands comptes ont souvent recours à la sous-traitance en ce domaine et qu’il leur sera seulement possible d’indiquer le nom et le siège social de leur prestataire ; ledit prestataire disposant de plusieurs centres d’appels (en France ou ailleurs) et se réservant la possibilité de faire « basculer les appels » d’un centre à un autre afin de faire face aux différents « pics d’appels ».
Le rapport fait au nom de la commission des affaires économiques cite le cas de la société française Téléperformance, leader mondial sur ce marché qui emploie 120 000 personnes… mais seulement 4 000 en France. - Création de « numéros illico »
Cette pratique me rappelle celle en vigueur dans certains hôpitaux : en payant le tarif normal, il faut attendre 3 mois pour obtenir un rendez-vous avec le Docteur Trucmuche ; en payant beaucoup plus, on peut prétendre à un rendez-vous la semaine prochaine.
Seuls ceux qui ont les moyens de payer pourraient alors faire savoir qu’ils ne bénéficient pas de la prestation prévue au contrat ou pourraient faire rectifier une erreur ; les autres n’auraient qu’à attendre.
Comme le rappelle avec beaucoup de modestie Monsieur LE FUR, cette proposition de loi a pour seule ambition « de faciliter la prise de conscience par l’ensemble des citoyens des tendances économiques à l’œuvre dans le domaine des services, de responsabiliser l’ensemble des acteurs et d’éviter ainsi que tous ces emplois ne soient délocalisés ».
Il s’agit donc d’une proposition de loi à vocation exclusivement pédagogique (comme nombre de celles qui sont discutées en ce moment). Nous évoquions récemment un texte qui, au moyen d’un bonus-malus sur nos factures d’énergie, nous proposait de prendre conscience qu’il n’est pas bon pour la planète de chauffer les courants d’air.
Le texte relatif aux centres d’appels tente de nous faire croire que nous devons payer plus cher les communications téléphoniques en direction des CRC/SAV et que nous devons choisir nos fournisseurs en fonction du lieu d’implantation de leur service client… afin de (tenter de) conserver des emplois en France.
Le consommateur n’a jamais autant dépensé en matière de nouvelles technologies (téléphonie et Internet). À l’époque pas si lointaine où il n’existait que le téléphone fixe, la facture était moins lourde, les dysfonctionnements moins nombreux, le SAV plus disponible et bien moins coûteux.
Vous trouvez normal de devoir payer des communications téléphoniques surtaxées pour faire corriger des anomalies qui grèvent le service pour lequel vous êtes déjà facturé ?
Je fais probablement partie de ces consommateurs qui ne comprennent rien à rien et qui devraient plutôt vouer une reconnaissance béate à ces honorables parlementaires qui ne comptent ni leur temps ni leurs efforts pour nous éduquer. Mais ce qui me rassure, c’est que je ne suis pas la seule ; nous sommes des millions à refuser ces discours infantilisants et cette pédagogie de pacotille qui tente de nous convaincre que nous devrons bientôt payer aussi… l’air que nous respirons.
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L’Assemblée nationale n’a pas adopté la proposition de loi (voir les débats).
Rassurez-vous, si vous n’y comprenez rien, vous n’êtes pas tout seul.
Cette propension à se battre bec et ongles pour relocaliser en France des postes peu qualifiés et sous-payés, tandis que dans le même temps on fait tout pour faire fuir nos ingénieurs m’épate.
Je n’ai même pas le courage de rédiger un long commentaire. Simplement, Vanille, vous verrez combien beaucoup de décisions politiques deviennent logiques et parfaitement raisonnables lorsqu’on part du présupposé que celui qui propose ou prend cette décision politique le fait non pas dans l’intérêt du pays, mais dans celui de sa seule réélection.
Moi, j’ai fini de me battre contre des moulins à vent. S’il faut de nouveau se battre, se sera au sens propre et sur les barricades.
Bonjour,
Je suis dans le même cas que vous.
Je ne comprends pas pourquoi je devrais payer afin de faire corriger une prestation mal exécutée.
Ainsi les « mauvais », qui éxecutent mal leur contrat, auraient plus d’argent, grâce au SAV, que les « bons » qui fournissent leur service impeccablement?
J’ai beaucoup de mal à me faire à cette idée…
L’alternative pour ne pas payer ce SAV serait alors la « mise en demeure ». Elle a un coût mais fixe et non relatif au « temps d’attente » que le mauvais prestataire voudra bien nous faire poireauter. Par contre, au niveau relationnel, elle est beaucoup moins cordiale.
Mais ne serait-ce pas vers quoi notre société se dirige? Vers des relations impersonnelles sous fond juridique et financier?