Le mariage pour tous : une fois n’est pas coutume

On parle rarement des trains qui arrivent à l’heure et c’est bien regrettable. Quand un train arrive à l’heure, c’est que des personnes ont fait consciencieusement leur travail pour parvenir à ce résultat.
En matière de processus législatif, c’est la même chose. Il est bien rare que nous disposions d’une étude d’impact digne de ce nom. Alors, pourquoi se priver de l’occasion de le signaler quand on en découvre une ?
Le document présenté à l’appui du projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe analyse le droit existant, les différents choix possibles et liste avec précision les incidences de la solution proposée sur l’ensemble du droit français. Rien que pour cette raison (et que l’on soit favorable, un peu, beaucoup, passionnément… ou pas du tout à cette réforme), il est intéressant de le lire.

Publication initiale le 19/11/2012

En droit français, l’étude d’impact dans le processus législatif est un dispositif récent puisqu’il résulte d’une loi organique du 15 avril 2009. L’article 8 de cette loi oblige le gouvernement à élaborer une étude d’impact qui doit être déposée sur le bureau de la première assemblée saisie, en même temps que le projet de loi auquel elle se rapporte.

Ajoutons que certaines études d’impact font l’objet d’une consultation publique à laquelle n’importe quel citoyen peut apporter une contribution. Vous pouvez ainsi vous exprimer, par exemple, sur le projet de loi relatif à la création de la banque publique d’investissement (en 4000 caractères maximum). Même si la législation a donné les grandes lignes du plan-type de l’étude d’impact, il faut reconnaître que certaines d’entre elles sont pour le moins allégées.

Ne perdons pas de vue non plus que le meilleur moyen de s’affranchir de l’étude d’impact est encore de passer par la case « proposition de loi » (texte soumis par les parlementaires et non plus par le gouvernement) comme ce fut le cas pour le texte sur le bonus-malus énergétique.

L’étude d’impact relative au projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe débute avec une histoire du couple en droit français ainsi qu’un inventaire/comparatif des trois modes d’organisation juridique du couple en vigueur dans notre pays aujourd’hui : le mariage, le PACS et le concubinage.

Ce document n’est pas avare de données chiffrées tant sur notre pays que sur certains de nos voisins européens. On apprend ainsi qu’en 2010, 251 654 mariages ont été célébrés en France et que 205 558 PACS ont été conclus (près de 4,5% l’étant entre des personnes de même sexe).

Entre 25 000 et 40 000 enfants seraient élevés par des couples de même sexe (source INED) alors que les certaines associations évaluent à 300 000 le nombre de familles concernées.

Cette étude fait état d’une enquête de l’INSERM de 2006 aux termes de laquelle 4% des personnes auraient déjà eu des pratiques sexuelles avec une personne du même sexe. Elle cite également une enquête IFOP de 2011 qui révèle que 6,5% de personnes se qualifient de « bisexuel(le) » ou « homosexuel(le) ». Selon l’enquête de l’IFOP, 55% des bisexuels et 46% des homosexuels déclarent vivre en couple (la proportion de personnes déclarant vivre en couple est de 70% dans la population des personnes hétérosexuelles).

On estime que le nombre d’homosexuels ou bisexuels âgés de 20 à 59 ans en France est compris entre 2 et 3,5 millions en 2012, dont 1 400 000 à 2 300 000 hommes et 680 000 à 750 000 femmes.

L’étude d’impact se penche ensuite sur les difficultés juridiques et pratiques rencontrées par certaines familles en France ainsi que sur celles résultant de situations nées à l’étranger (mariages entre personnes de même sexe régulièrement célébrés ou adoptions réalisées à l’étranger,…) ; le projet de loi déposé devant répondre à ces difficultés.

Un chapitre de l’étude est consacré aux dispositifs en vigueur dans certains pays étrangers (mariage de droit commun, partenariat civil,…). On notera que certains pays dissocient la question du mariage de celle de l’adoption en ce qui concerne les couples de même sexe.

Parmi nos proches voisins qui ont légalisé le mariage pour tous, figurent les Pays-Bas (en 2001), la Belgique (en 2003), l’Espagne (en 2005), la Norvège et la Suède en 2009 et le Portugal (en 2010). Dans ces six pays, le régime applicable au mariage est le même que les époux soient de même sexe ou pas.

En Belgique (pour une population de 11 millions d’habitants), un peu plus de 40 000 mariages sont célébrés chaque année ; 5% d’entre eux concernent des personnes de même sexe. En Espagne, ce pourcentage est de l’ordre de 2%.

L’adoption par des couples de même sexe est reconnue légalement dans 9 des 27 pays de l’Union européenne (Allemagne, Finlande, Slovénie, Belgique, Pays-Bas, Danemark, Espagne, Royaume-Uni et Suède) alors que certains de ces pays n’ont pas ouvert le mariage aux couples homosexuels.

L’étude présente les quatre options possibles pour réformer le droit de la famille :

–          On aurait pu améliorer le PACS afin qu’il ressemble beaucoup au mariage mais où serait alors l’intérêt de conserver les deux modes d’organisation de la vie des couples ?

–          Certains avaient proposé la création d’une union civile réservée aux couples de même sexe. Mais ce « quatrième régime » pour le moins discriminatoire aurait complexifié le droit français.

–          On pouvait aussi supprimer le mariage et le PACS et les remplacer par une union civile ouverte à tous mais cette option aurait nécessité une révolution juridique du droit de la famille particulièrement inopportune d’autant que l’institution du mariage n’est pas en cause.

–          C’est donc la dernière option qui est prévue par le projet de loi : ouvrir le mariage aux couples de même sexe. Cette option constitue juridiquement la solution de facilité par excellence puisque le mariage est une situation reconnue et considérée par toutes les autres branches du droit français (droit des successions, droit fiscal, droit social,…).

L’étude préalable rappelle par ailleurs que, selon un sondage publié par l’IFOP en août 2012, les deux tiers des Français sont favorables au mariage des personnes de même sexe et 53% des personnes interrogées sont favorables à l’adoption par les couples homosexuels.

Le projet de loi contient des dispositions particulières relativement aux mariages conclus entre des personnes de nationalités différentes ainsi qu’aux mariages de Français valablement célébrés à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

L’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe mariés s’organisera dans les mêmes conditions et au moyen des mêmes procédures que celles actuellement en vigueur pour les couples hétérosexuels.
Le texte n’apporte évidemment aucune modification aux dispositions relatives à la filiation établie par l’effet de la loi.

Après avoir rappelé la position des différentes juridictions (tant françaises qu’européennes) sur cette question, l’étude liste les impacts du projet de loi tant en droit interne qu’en droit international.

Ceux qui s’imaginaient qu’il suffirait de remplacer dans la législation les termes « mari » et « femme » par « époux » ou les termes « père » et « mère » par « parents » seront peut-être surpris en prenant connaissance de la liste des incidences de ce projet de loi.

Des dispositions sont proposées afin d’adapter les règles relatives à l’adoption, au nom des enfants, à l’état civil, au droit de la nationalité, aux droits sociaux (pensions de réversion, majoration de la durée d’assurance, rente d’accident du travail, indemnisation du congé d’adoption, droit aux prestations familiales,…).

Sont également envisagés les impacts de ce projet de loi sur les juridictions (plus de mariages donc plus de divorces ?) et administrations, les collectivités territoriales et les services d’état civil. Ne sont pas oubliées non plus les conséquences diplomatiques de cette ouverture du mariage ainsi que la teneur des différents accords internationaux signés par la France en ce domaine.

Un chapitre entier est consacré à l’application de ce texte en Outre-mer et notamment aux citoyens relevant du « statut personnel » à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna où les dispositions du projet de loi n’ont pas vocation à s’appliquer.

L’étude rappelle par ailleurs l’étendue des sanctions disciplinaires encourues par le maire en cas de non respect des dispositions du code civil et des instructions du procureur de la République (à l’attention des maires qui ont d’ores et déjà annoncé qu’ils se refuseraient à célébrer des mariages entre personnes de même sexe ?).

 

La rigueur et la qualité de cette étude d’impact sont à souligner (et ce, quoi qu’on pense du projet lui-même). Elles sont à mettre en regard de toutes les « originalités parlementaires » récentes et notamment des amendements estampillés « manger, bouger… » que nous avons vu fleurir récemment (bière, Nutella,…) pour récupérer quelques millions d’euros de taxes sans que les impacts, autres que ceux sur les recettes de l’État, n’aient été mesurés.

Une étude d’impact n’est exigée que lors du dépôt du projet de loi ; tous les amendements proposés (et votés) par les parlementaires au cours des débats (quand bien même ils seraient fantaisistes) n’y sont hélas pas soumis.

 

Sur ces questions, voir également le rapport publié il y a quelques jours réalisé à la demande de Jean-Pierre Sueur, sénateur « Mariage des personnes de même sexe et homoparentalité / Législation comparée » Allemagne – Belgique – Canada (Québec) – Danemark – Espagne – Italie -Pays-Bas – Portugal – Royaume-Uni (Angleterre) – Suède

Une réflexion sur « Le mariage pour tous : une fois n’est pas coutume »

  1. Merci pour cette contribution qui nous éclaire sur le travail de certains parlementaires ou/et cabinets ministériels, qui à cette occasion semble être de bonne qualité.

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