À l’heure où a été annoncée une éventuelle modification des taux de TVA en 2014, le rapport du député Thomas THÉVENOUD vient nous rappeler avec pertinence qu’en modifiant le taux de la TVA sans étude d’impact et sans suivi de la mesure… on ne peut que courir à l’échec.
Publication initiale le 12/11/2012
La mesure en vertu de laquelle le taux de TVA applicable à la restauration a été minoré semblait apporter des solutions à des dysfonctionnements qui existaient dans ce secteur. Ce taux devait s’appliquer à tous les types de restauration mettant fin au privilège de la restauration dite « à emporter » qui seule bénéficiait du taux de TVA réduit.
Rappelons qu’en matière de TVA, chaque État européen n’a pas les mains libres ; il doit recueillir une autorisation du Conseil (qui statue à l’unanimité) afin d’appliquer un taux réduit aux services à forte intensité de main-d’œuvre.
Le taux de TVA sur la restauration est donc passé à 5,5% en métropole (2,1% dans les DOM) à compter du 1er juillet 2009 à la suite d’une autorisation donnée lors du Conseil Écofin du 10 mars 2009. Depuis 2011, ce taux a été porté en métropole à 7 %.
En contrepartie de cette disposition fiscale, le secteur de la restauration a pris trois engagements :
- Une baisse des prix devant permettre au client de consommer un repas complet « en profitant d’une baisse de 11,8 % ». Non, il n’y a pas d’erreur, même si 19,60% – 5,5% = 14,1% car les boissons alcoolisées restent soumises au taux normal.
- La création de 40 000 emplois supplémentaires sur 2 ans, l’amélioration des conditions de travail des salariés et la revalorisation de leur rémunération.
- Un milliard d’euros d’investissements de rénovation, création et développement.
Un avenant au contrat d’avenir signé en juillet 2011 a prorogé ces engagements jusqu’en 2015.
Le coût net moyen pour les finances publiques est de l’ordre de 2,6 milliards d’euros par an.
La baisse des prix pour le consommateur
Une baisse des prix d’environ 9,7% était attendue si l’on tient compte du fait que les boissons alcoolisées sont restées hors du champ du dispositif de baisse du taux de TVA.
Une enquête réalisée dans 62 départements montre qu’un quart des restaurateurs ont baissé leurs prix conformément aux engagements pris, un peu plus de la moitié ne les a pas modifiés et un sur 10 les a augmentés.
L’INSEE quant à elle ne relève qu’une baisse des prix comprise entre 2,2% et 2,5% par an en 2009.
Les bénéficiaires de cette mesure sont indiscutablement les entreprises de la restauration puisque la baisse du taux de TVA n’a pas été répercutée sur les prix consentis aux consommateurs.
Le ratio tarification / coût marginal de production était de 1,37 (l’entreprise tarifie 37 % au-dessus de son coût marginal de production) dans la restauration avant la crise contre 1,04 dans le secteur de la construction et 1,26 pour l’ensemble de l’économie.
Le secteur de la restauration n’est certainement pas l’un des plus concurrentiels sinon les marges ne seraient pas aussi élevées. Comme le faisait à juste titre remarquer un parlementaire commentant le rapport « quand on visite la tour Eiffel, on ne va pas manger son bifteck en Belgique ! »
L’emploi et les conditions de travail
Pour réaliser un million d’euros de chiffre d’affaires, 14 salariés sont nécessaires dans le secteur de la restauration contre 4 en moyenne dans l’ensemble de l’économie.
Le chiffre d’affaires du secteur ayant diminué du fait de l’impact de la crise (– 4,2 % pour l’année 2009), les créations d’emplois (subventionnées) n’ont pas pour origine une plus forte activité.
Le coût social de l’opération (817 millions d’euros) se décompose comme suit :
– une « prime TVA » représentant 2 % du salaire brut annuel, plafonnée à 500 euros pour les restaurants versée aux salariés présents dans l’entreprise depuis plus d’un an. Même si cette prime n’est pas versée à tous les salariés du fait du turn-over élevé qui sévit dans ce secteur, elle représente un coût annuel de 160 millions d’euros.
– la mise en place d’une mutuelle « frais de santé » pour un coût annuel de 167 millions d’euros.
– la revalorisation de la grille des salaires de 5% dont le coût annuel s’élève à 507 millions d’euros.
– 2 jours fériés supplémentaires pour un coût annuel de 83 millions d’euros.
Selon le rapport, seuls 19 512 emplois supplémentaires auraient été créés entre 2009 et 2012 à la suite de la baisse du taux de la TVA dans la restauration (6 504 emplois par an). Rapportée aux 817 millions dépensés pour le volet social, chaque création d’emploi aurait coûté plus de 125 000 euros alors que le coût global annuel moyen (salaires et charges sociales) d’un salarié de ce secteur n’atteint pas 21 000 euros.
Des engagements avaient été pris par les professionnels afin de lutter contre le travail illégal. En 2010, les contrôles dans ce secteur de l’économie ont augmenté de 6% alors que les fraudes constatées croissaient de 60%.
Les investissements
Les investissements ont surtout été réalisés dans le secteur de la restauration rapide (+ 53% en valeur entre 2009 et 2010) alors qu’ils ont décru dans les entreprises de la restauration traditionnelle.
Le rapporteur n’hésite pas à qualifier d’hérésie économique le fait d’accorder une aide à l’investissement d’un milliard d’euros à un secteur non soumis à la concurrence internationale.
Même si les chiffres et les constats mentionnés dans ce rapport ont été très largement contestés tant par les professionnels de la restauration que par les syndicats de salariés, il s’agit là d’un dossier que le gouvernement va devoir traiter dans les meilleurs délais.
Le rapport conclut en proposant deux hypothèses de travail : ou remettre en vigueur le taux normal (aujourd’hui 19,60% et peut-être 20% en 2014) ou augmenter le taux de TVA réduit. Le retour à un taux de 5,5% n’étant pas envisageable du fait de son coût supplémentaire de 300 millions d’euros supplémentaire par an. Il est également impossible de créer un troisième taux réduit en raison des contraintes européennes.
Rappelons que 15 des 27 pays de l’UE appliquent un taux normal à la restauration (19% en Allemagne et 20% au Royaume-Uni, par exemple).
Compte tenu du « pacte national pour la croissance la compétitivité et l’emploi » qui propose d’augmenter le taux réduit de 7% à 10% en 2014, la seule solution qui semble envisageable serait de laisser la restauration soumise à un taux réduit… de 10% (mesure dont il faudra impérativement évaluer les incidences au moyen d’une étude d’impact).
De fait, les quelques restaurateurs qui ont joué le jeu d’embaucher, augmenter les salaires et réduire les prix vont se retrouver les dindons de la farce.
A bricoler la loi sans étude et à revenir ensuite en arrière, on encourage la mauvaise gestion, on récompense les « mauvais » et les « médiocres », qui servent des plats réchauffés achetés chez Metro à une clientèle captive, et on pénalise ceux qui gèrent sainement leur affaires et ne comptent pas leurs heures pour servir une cuisine de qualité à leur client. Les premiers augmenteront simplement leurs prix en proportion de la hausse, ou iront acheter des plats surgelés encore plus bas de gamme ; Les seconds devront probablement licencier l’employé supplémentaire embaucher lors de la baisse de TVA.