Une vie meilleure, vous y croyez, vous ?

A l’heure où on nous explique, à longueur d’éditorial et avec force détails, que tous les événements qui se produisent sur la planète ont pour origine la criiise, qui s’est abattue sur le monde de manière aussi inattendue et brutale que l’actuelle vague de froid et sans qu’il soit possible de déterminer qui en est responsable et qui en tire profit, il fallait que les effets de la criiise fassent aussi l’objet d’un film. Nous en rêvions…Cédric Kahn l’a fait.

Dans ce (trop) long métrage qui a pour titre Une vie meilleure, on assiste à une accumulation rarement égalée de lieux communs.

Yann (Guillaume Canet) et Nadia (Leïla Bekhti), deux smicards travaillant dans le secteur de la restauration, se rencontrent fortuitement, tombent amoureux l’un de l’autre… et décident de créer leur entreprise, un restaurant perdu au fond des bois au bord d’un lac des Yvelines.

C’est le début d’une histoire improbable qui va (évidemment puisqu’il y a la criiise) mal se terminer. Je tiens à rassurer tous ceux qui nous lisent : sans la criiise, nos deux amoureux seraient aujourd’hui à la tête un établissement coté 3 étoiles au Guide Michelin.

Il est vrai que, quand on met autour de la même table un jeune entrepreneur (ignorant tout de la gestion d’entreprise) et un banquier… pas très professionnel (ça va, comme ça, je n’ai fâché personne ?), il est assez facile d’imaginer la suite (temps de criiise ou pas).

Le budget de l’opération (élaboré au doigt mouillé) s’établit tout de même à 200 000 €, soit quelques années de revenu de nos deux entrepreneurs. Pour financer l’acquisition de ce bâtiment en ruine ainsi que les travaux les plus urgents, une banque accepte de prêter 160 000 € ; le solde étant couvert par l’apport personnel de nos restaurateurs en herbe (une prétendue donation reçue par Yann).

Sauf que cet apport personnel n’existe pas (ce que le banquier ne prendra d’ailleurs pas la peine de vérifier) et qu’il sera constitué de tirages successifs sur différents crédits renouvelables (que l’on appelait autrefois crédits revolving  ; vous voyez de quoi je parle ?).

On comprend aisément la situation financière dramatique du couple qui doit ainsi faire face aux échéances des prêts à la consommation pour environ 6 000 € chaque mois. Ces premiers remboursements devant être effectués alors même que le restaurant ne peut pas être exploité du fait que les travaux de mise aux normes de sécurité n’ont pas été réalisés (ni même intégrés dans le plan de financement car nos entrepreneurs n’en avaient probablement pas imaginé la nécessité ; on remarquera que le banquier n’a posé aucune question à ce sujet, lui non plus).

Arrivé à ce stade, n’importe qui (même sans être banquier) ne peut plus croire à cette histoire digne de celles qui ont émaillé les débats parlementaires sur le projet de loi relatif à l’EIRL ou de celles qui font la une de ces émissions de télévision que nous connaissons tous et qui sont censées nous montrer du vécu (un peu arrangé pour des raisons d’audience, reconnaissons-le).

Ajoutons à cela que Nadia (maman d’un charmant Slimane âgé de près de 10 ans) accepte, pour gagner plus (ça ne vous rappelle rien ?), un emploi au Canada et confie son charmant bambin pour une période provisoire (qui ne va cesser de s’allonger) aux bons soins de Yann qui a déjà d’immenses difficultés pour survivre.

Vous en connaissez beaucoup, vous, des mères (ou des pères) qui abandonneraient ainsi leur gamin pour aller gagner un peu plus d’argent ailleurs ? Moi, je n’en connais pas… Dans les familles monoparentales de mon entourage, l’enfant est le centre du monde et il ne serait pas concevable de se séparer de lui, même pour une hypothétique augmentation de salaire. Mais, vous l’avez compris, c’est du cinéma.

N’étant pas certaine que vous disposiez d’un stock de mouchoirs à portée de main, je ne vous raconterai pas la suite, qui s’inscrit dans la logique de ce que j’ai décrit jusqu’à présent.

Un matin, à l’heure du café-tartines, j’écoutais Cédric Kahn expliquer sur l’antenne d’une radio nationale qu’il avait toujours été hanté par Le voleur de bicyclette. J’espère seulement, qu’au paradis des cinéastes talentueux, on se lève plus tard que dans mon quartier et que Vittorio De Sica n’a rien entendu.

Moi aussi, j’avoue que, quand j’arrose les pots de géraniums installés sur mon balcon, je me sens hantée par les jardins du château de Versailles. À chacun ses hantises…

Quand on vise la crédibilité en mettant en scène des gens simples (à défaut d’en être), il faut les connaître (un peu), étudier sérieusement le contexte et ne pas se contenter d’élaborer un florilège de clichés glanés dans les émissions de télé-réalité les plus en vogue.

Quand on a pour objectif de réaliser un film sur le changement de condition sociale, il est préférable de s’inspirer du parcours du petit entrepreneur ordinaire, celui qui va consulter l’ADIE (par exemple) avant… plutôt que celui qui va demander de l’aide à une association de surendettés après.

C’est pour cette raison que, en dépit du souhait du réalisateur, ce film aura difficilement valeur de témoignage. Témoignage de quoi ? Témoignage d’un personnage qui croit tout savoir et tout comprendre mais qui ne peut pas mesurer que son projet manque d’assises… et que les conseillers dont il s’entoure brillent tous par leur incompétence ?

Il serait néanmoins injuste de jeter la pierre à cet entrepreneur bercé d’illusions tant le discours dominant, qui voit en chacun de nos concitoyens un entrepreneur potentiel, annihile toute autre voie de réflexion. Détenir un savoir-faire professionnel est une chose ; gérer une entreprise en est une autre. Tenter de faire croire que chacun d’entre nous dispose de manière innée de cette double compétence est un grave mensonge.

De deux choses l’une : ou bien les cinéastes et les romanciers créent pour nous des contes (et certains s’acquittent fort bien de cette tâche), ou bien ils prétendent ancrer leur œuvre dans la réalité… faut-il encore qu’ils soient en mesure de décrypter cette réalité.

Chacun sait (ou devrait savoir), qu’avant la criiise, nous vivions tous dans un monde merveilleux. Chacun avait un toit, un emploi, une mutuelle et des vacances… et tous les entrepreneurs voyaient leurs efforts et leur ténacité couronnés de succès.

C’était le bon temps, alors ? Mais c’était quand avant la crise ?

Ben… je sais pas, moi. Demande à ta grand-mère, peut-être qu’elle s’en souvient.