Fichier positif des crédits : le front du refus ?

Alors que la création d’un fichier positif des crédits avait été considérée par certains comme une mesure phare de la réforme du crédit à la consommation (art. 49 de la loi n°2010-737 du 01/7/2010), le rapport remis au gouvernement la semaine dernière, dont l’objectif est de préfigurer la création d’un registre national des crédits aux particuliers, génère de nombreuses réactions.

Loin des brèves de comptoir véhiculées par ceux qui préfèrent tirer une loi générale du mode de vie de leur voisin plutôt que de se plonger dans la lecture (parfois certes ardue) des documents qui font référence, il faut reconnaître que ce rapport apporte peu de réponses mais suscite des questions.
Publication initiale le 07/08/2011 – Dernière modification le 13/03/2014

État des lieux

Il existe depuis 1990, un Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP) qui recense les incidents de paiement et les procédures de surendettement en cours et dans lequel sont inscrites environ 2,5 millions de personnes. La Banque de France estime qu’il y avait fin 2010 900.000 surendettés.

L’objet du rapport est de préfigurer la mise en place un registre national des crédits consentis aux particuliers par les banques inscrites (ou ayant une succursale) en France.
L’objectif de ce fichier étant de prévenir le surendettement et d’assurer une meilleure information des prêteurs sur la solvabilité des emprunteurs.

Il est suggéré, à terme, de fusionner ces deux fichiers afin de disposer d’une vue globale de l’endettement (et éventuellement des incidents de paiement) de chacune des 25 millions de personnes qui ont à ce jour un emprunt en cours auprès d’une banque.

Comment seraient protégées les données personnelles ?

La question clé est celle de la protection de la vie privée et des risques que fait courir à celle-ci une éventuelle interconnexion de différents fichiers.

Actuellement, les données personnelles enregistrées dans le FICP sont
• Le nom de naissance (nom patronymique),
• Le nom marital (facultatif),
• Le(s) prénom(s),
• La date et le lieu de naissance,
• Le sexe.

Ces données ne semblent pas de nature à identifier correctement toutes les personnes inscrites.
Près de 7% des consultations du FICP génèrent des réponses multiples du fait des homonymies (il appartient alors au banquier d’analyser la réponse manuellement) car la clé d’interrogation est constituée de la date de naissance et des 5 premières lettres du nom.

La Banque de France vérifie auprès du répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) les données d’état civil des personnes ayant eu des incidents de paiement afin de s’assurer que ces personnes existent. Dans 10% des cas, ces données ne sont pas confirmées par l’INSEE.

Compte tenu du très grand nombre de personnes à enregistrer dans le fichier positif, le rapport préconise la création d’un identifiant sécurisé dérivé du n° INSEE (ou n° de sécurité sociale).

Il s’agit là d’un sujet très sensible puisque la loi Informatique et Libertés prévoit que l’utilisation de ce numéro est soumise à une autorisation en Conseil d’État prise après avis de la CNIL.

Un fichier de (certaines) dettes bancaires

Avant même d’avoir lu les 173 pages du rapport, il faut se rendre à l’évidence : il ne s’agit pas d’un fichier recensant la totalité de l’endettement de nos concitoyens… mais seulement certains concours bancaires.

Il est proposé d’y enregistrer les crédits suivants :
• Crédits amortissables (consommation / immobilier)
• Crédits renouvelables
• Autorisations de découvert consenties pour une durée supérieure à 3 mois
• Regroupements de crédits

Seraient exclus :
• Les découverts d’une durée inférieure à 3 mois (alors qu’ils figurent dans 57% des dossiers de surendettement et que 75% des titulaires de comptes bancaires bénéficieraient d’une telle autorisation).
• Les contrats de location avec option d’achat et les contrats de location longue durée (alors même que les incidents de paiement sur les premiers sont susceptibles d’une inscription au FICP).
• Les engagements par signature (cas dans lesquels la banque s’est portée caution pour un client)
• Les crédits in fine
• Les prêts familiaux, amicaux et associatifs ainsi que les prêts professionnels. Rappelons que les entrepreneurs individuels (commerçants, artisans, professions libérales et agriculteurs) n’ont qu’un patrimoine (à moins d’avoir opté pour le tout récent statut juridique de l’EIRL). En conséquence, c’est leur endettement global qui doit être envisagé. La Banque de France centralise les concours consentis aux entreprises dans le fichier FIBEN s’ils sont d’un montant supérieur ou égal à 25.000 €.
• Les dettes autres que bancaires (logement, énergie, télécommunications, transports, assurances,…)

Ne seraient pas dans ce fichier :
• Les conjoints non coemprunteurs alors que, dans certaines conditions prévues par les articles 220 du code civil (mariés) ou 515-4 (pacsés) leur responsabilité peut être engagée dans le remboursement des crédits.
• Les personnes cautions qui garantissent des engagements privés ou professionnels (crédits, baux à loyers,..).
Il est également impossible de disposer d’un indicateur relatif à la situation de tutelle ou de curatelle des emprunteurs.

Un fichier, à quel prix ?

Sans entrer dans le détail des hypothèses ayant servi à établir ce budget (voir pages 89 et s. du rapport), les estimations s’élèvent à

Coûts d’investissement
o Pour la Banque de France entre 15 et 20 millions d’euros.
o Pour les banques (FBF et ASF) entre 525 et 820 millions d’euros

Charges de fonctionnement annuelles
o Pour la Banque de France entre 30 et 35 millions d’euros
o Pour les banques (FBF et ASF) entre 37 et 76 millions d’euros

Ces coûts intègrent
• Un fonctionnement du FICP en parallèle du fichier positif durant une période de 2 à 3 ans
• La reprise des stocks de crédits en cours au fil de l’eau après de la création du nouveau répertoire
• Des outils et procédures permettant à tout emprunteur d’exercer son droit d’accès et de rectification (sur site, par courrier et par Internet).

Un fichier, dans quel cadre juridique ?

Le Comité estime à juste titre qu’un tel registre ne peut être créé en dehors de dispositions législatives ; certains points devant relever de la loi et notamment :

• Le principe de la création d’un tel fichier
• Les obligations pesant sur les banques pour l’alimentation et la consultation de ce fichier
• Les obligations des emprunteurs (fourniture de certaines données)
• L’application de la loi aux contrats souscrits avant son entrée en vigueur

Les rédacteurs du rapport estiment que ce fichier positif pourrait être opérationnel dans les 24 mois de la remise du cahier des charges. Ce qui suppose au préalable que la loi ait été adoptée et les décrets d’application publiés.

Ceux qui demandent la mise en œuvre de ce fichier avant les élections présidentielles de 2012… sont probablement de doux rêveurs.

Qui veut de ce fichier ?

Il serait plus simple de lister ceux qui n’en veulent pas.

Commençons par la FBF qui l’estime complexe et coûteux pour une efficacité non prouvée. Le surendettement ayant pour cause selon elle une insuffisance de revenus ou une perte d’emploi.

La CNIL émet quant à elle les plus grandes réserves sur l’utilisation du n° INSEE et craint des dérives. Elle s’oppose à la collecte de ce numéro au moment d’une ouverture de compte bancaire et rappelle, elle aussi, qu’il n’est pas prouvé que l’utilisation de fichiers positifs soit efficace pour lutter contre le surendettement.

UFC-Que Choisir demande au Ministre de l’Économie, avant de mettre en œuvre un fichier positif coûteux, un audit sur les conséquences de la loi Lagarde en matière de surendettement.

La CLCV déclare qu’elle « prend note de cette orientation même si nous continuons de penser qu’il n’est pas le remède le plus adapté pour lutter contre le surendettement ».

L’association CRESUS (auditionnée par le Comité) demandait, avant même la publication du rapport, que ce fichier soit créé avant les élections présidentielles de 2012 tout en le jugeant trop complexe.

Quant à l’AFUB, elle « exprime la plus grande hostilité au projet de fichier positif », le considérant disproportionné et simpliste.

La Fédération du commerce et de la distribution demande la mise en place de ce fichier dans les meilleurs délais tout en rappelant que les coûts de ce registre doivent être intégralement supportés par les prêteurs.

Considérer que ce registre s’apparente à un marteau-pilon pour écraser une mouche, serait parfaitement indécent… surtout eu égard au prix du marteau-pilon.

 

Voir aussi Fichier positif des crédits : vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage…

 

13/03/2014 – Rejet de cette mesure. Voir l’actualité et le communiqué de presse du Conseil constitutionnel (Décision n° 2013-690 DC du 13 mars 2014)

4 réflexions sur « Fichier positif des crédits : le front du refus ? »

  1. Les crédits in fine ne sont qu’un financement parmi bien d’autres qui resteraient en dehors du fichier ; n’oublions pas que les crédits-relais immobiliers sont techniquement apparentés aux crédits in fine.

    Moi, je ne suis pas étonnée.
    Personne (parmi ceux qui pèseront sur la décision) ne voulait de ce fichier ; donc, il ne contient presque rien… pour un coût élevé et une mise en œuvre éventuelle dans un futur assez éloigné. :clin-oeil:

Les commentaires sont fermés.